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Réchauffement climatique :
existe-t-il des solutions pour les communes littorales face à la montée des eaux et à l'érosion ?

 

Non cela n'arrive pas ailleurs, que ce soit en Martinique ou encore plus loin... 
La Corse est soumise à ce phénomène d'érosion et de montée des eaux. 

Pour cela il faut être dans un premier temps réaliste, voir les choses en face et trouver des solutions. Globales au niveau mondiale et local régionalement.

 

"Face à l'avancée de la mer provoquée par le réchauffement climatique, l'Etat veut passer d'une stratégie de défense dure à une adaptation plus souple, jusqu'à envisager les déplacements de population. Mais sur le terrain, cette nouvelle doctrine se déploie timidement et rencontre des résistances.

Article rédigé par Thomas Baïetto France Télévisions Publié le 30/10/2021

Sur la plage d'Agon-Coutainville (Manche), d'imposantes masses de rochers protègent les belles maisons de la corniche du Sénequet. Sur plus d'un kilomètre, des épis retiennent le sable et une digue, faite d'enrochements, brise les assauts de l'océan. "Depuis 1975, cette digue existe et remplit son rôle, moyennant un entretien très faible", se félicite Jacques Saint-Cricq, président de l'association syndicale autorisée de défense contre la mer Agon-Coutainville Centre et Nord. Créée en 1898, cette association a la charge de défendre les maisons de ses membres contre les flots. "Ce système date de Colbert. Qu'ils le veuillent ou non, les gens qui habitent dans le périmètre payent une taxe, calculée en fonction de la valeur locative du bien et de sa proximité par rapport à la mer", explique notre interlocuteur.

Malgré les sombres prévisions du Giec, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climatqui anticipe une montée des eaux entre 61 et 101 cm d'ici 2100 si nos émissions de gaz à effet de serre se poursuivent à ce rythme, Jacques Saint-Cricq ne craint pas le réchauffement climatique. "Si la mer monte d'un mètre, nous avons encore deux mètres de marge" pour atteindre les maisons, calcule-t-il. Non, ce qui l'inquiète, c'est le refus de l'Etat d'autoriser le prolongement de sa digue. Au nord, la cabane de la Poulette et sa dune sont menacées. Si la mer les emporte, elle contournera la ligne de défense et inondera les terres basses. "Ce sera un deuxième La Faute-sur-Mer [une commune de Vendée où la tempête Xynthia a fait 29 morts], une catastrophe, parce que vous avez 150 maisons sous le niveau de la mer, un collège, un golf et une station d'épuration", énumère-t-il, avant de pester contre "les mots en l'air" de l'ancienne ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne.

 

Lors de sa visite en février 2020 dans la commune voisine de Gouville-sur-Mer, Elisabeth Borne a réaffirmé la nouvelle doctrine de l'Etat, élaborée en 2012, face au recul inexorable du littoral sous les effets conjugués de l'érosion et du changement climatique. "On voit qu'ici, la mer est plus forte que nous", avait-elle déclaré, en présentant un nouveau plan qui prévoit des relocalisations d'habitations. Présent ce jour-là au côté de la ministre, Stéphane Buchou, député LREM de Vendée et auteur d'un rapport parlementaire sur le sujet, résume la position de l'Etat : "Nous avons eu depuis toujours une politique de défense contre la mer. On a cru que l'homme pourrait gagner contre l'inéluctable, on se rend compte aujourd'hui que ce n'est pas possible."

Selon les chiffres du gouvernement, 20% des côtes françaises sont menacées par l'érosion naturelle, parfois aggravée par l'action humaine. Une menace à laquelle s'ajoute la montée des eaux liée au réchauffement climatique. Ces deux facteurs augmentent le risque de submersion lors des tempêtes.

Ce constat politique est partagé par les scientifiques. "Aujourd'hui, nous payons notre appropriation inconsidérée du trait de côte. Nous avons voulu des maisons les pieds dans l'eau, nous les avons", estime Stéphane Costa, géographe à l'université de Caen et président du Conseil scientifique de la stratégie nationale de gestion du trait de côte. Pour lui, les ouvrages de défense sont contre-productifs. Les épis, perpendiculaires à la côte, entravent le cheminement des sédiments et ne font que "déplacer le problème de l'érosion chez le voisin". Les digues "bloquent la capacité d'adaptation des plages et des dunes", font disparaître le sable qui amortit la houle devant l'ouvrage et qui attire les touristes. "Elles protègent pendant un moment mais exacerbent l'érosion et font disparaître l'attractivité du territoire", estime le chercheur. A moyen terme, cette fixation rigide du littoral empêche ce dernier de s'adapter à la montée des eaux à venir en reculant vers l'intérieur des terres.

"Je ne voudrais pas faire du catastrophisme, mais pire serait l'indifférence… Les vrais problèmes sont à venir."

Stéphane Costa, géographe.

La situation est encore plus critique sur les îles des territoires d'outre-mer. "Au XIXe siècle, on pouvait faire le tour de la Martinique en longeant les plages. Ce n'est plus possible aujourd'hui", témoigne Pascal Saffache, géographe et ancien président de l'université des Antilles. L'île a perdu par endroits jusqu'à 140 mètres de plage en soixante-dix ans et ce n'est qu'un début. "En partant d'une hypothèse optimiste de montée des eaux comprise entre 38 et 51 cm en 2090, j'ai fait des simulations qui montrent une perte de 5% de la superficie de l'île", poursuit le chercheur, en précisant que ces 5% se concentrent dans les zones les plus propices à l'occupation humaine : 27 des 34 communes sont littorales. Ces pertes territoriales seront encore plus importantes sur d'autres îles caribéennes et entraîneront des déplacements massifs de population. "Ce que l'Europe vit actuellement, avec des migrations de populations venues de l'autre côté de la Méditerranée à cause de la guerre, nous allons le vivre dans les Caraïbes à cause du changement climatique", avertit Pascal Saffache.

 

Pour faire face, les deux scientifiques défendent une approche locale, plurielle et anticipée, adaptée à la diversité du littoral français : falaises, côte sableuse, marais, mangrove... "Il ne faut pas être dogmatique, il y a des endroits où les enjeux sont tellement forts [de grands ports, des zones fortement urbanisées ou une centrale nucléaire, par exemple] qu'on peut se protéger avec des digues, mais avec un message clair : on met des ouvrages pour se donner du temps, pour organiser le déplacement des biens et des activités", propose Stéphane Costa, en avertissant : "Si on laisse la nature faire, elle va nous imposer son timing et la gestion dans l'urgence est mauvaise conseillère." Pascal Saffache invite lui à mieux informer la population, à travailler à l'échelle des Caraïbes et à "mixer" ouvrages en dur et solutions écologiques avant, le cas échéant, de déplacer les populations. 

"La relocalisation, une hypothèse sur la table"

Dans son rapport parlementaire, Stéphane Buchou propose quinze mesures. Certaines d'entre elles, comme l'information préalable des acheteurs ou des locataires de logements ou la création de convention littorale d'occupation permettant l'utilisation temporaire des terres menacées, sont reprises à l'article 58 du projet de loi "Climat et résilience", mais elles doivent encore faire l'objet d'ordonnance du gouvernement pour entrer en application. "Je ne me définis pas comme le chantre de la relocalisation, je ne dis pas qu'il faut en faire partout, il y a des endroits où il faudra enrocher, endiguer, mais il faut que ce soit une hypothèse sur la table et qu'on y aille", estime-t-il, avant d'expliquer que ce choix doit se faire en fonction des équipements et des enjeux.

"On ne va pas arrêter d'enrocher le port du Havre. Commençons déjà par de petites unités, cinq ou six maisons, un camping... Si déjà on réussit ça, ce sera un grand pas.Stéphane Buchou, député.

L'Association nationale des élus du littoral (Anel) regrette l'absence de "cadre législatif et réglementaire adapté" à la relocalisation, qui empêche les maires d'agir. "On ne peut pas dire aux élus 'faites ceci' et ne pas leur donner les moyens de le faire, c'est absurde", souligne Christine Lair, sa déléguée générale. 

Dans les faits, cette solution peine à se concrétiser. A Lacanau (Gironde), le projet de relocalisation du front de mer a ainsi été mis entre parenthèse. "En l'état actuel, ni la réglementation ni les outils financiers ne sont adaptés à la gestion de cette situation", peut-on lire sur le site du GIP littoral, l'organisme public qui pilote ces questions en Nouvelle-Aquitaine. L'exemple métropolitain cité par nos interlocuteurs est d'ampleur modeste : le déménagement à venir du camping de Quiberville (Seine-Maritime), mené par le Conservatoire du littoral. Il se trouve actuellement à l'embouchure artificialisée de la Saâne, un fleuve côtier. Après concertation avec les acteurs locaux, ce projet à 12 millions d'euros prévoit de reconnecter le fleuve à la mer en remplaçant la buse d'écoulement par un pont, de déplacer le camping plus loin et de rendre l'espace ainsi libéré à la nature. "Nous avons dix-vingt ans devant nous pour appréhender les littoraux de demain, estime Régis Leymarie, qui a piloté le projet en tant que délégué adjoint Normandie au Conservatoire. En France, nous avons de la place pour nous relocaliser, nous ne sommes pas aux Pays-Bas, qui ont un tiers de leur surface sous le niveau de la mer."

Des projets pilotes en outre-mer

Les projets de plus grande ampleur se trouvent en outre-mer. A Sainte-Anne, en Guadeloupe, la municipalité a refusé de recourir aux géotubes – des boudins remplis de sable – qu'on lui proposait pour sauver la plage du bourg. "Cela coûte très cher et nous avons constaté que cela avait provoqué des drames en Guyane ou en Martinique, avec des digues mal posées. Et si cela se perce, on ne peut plus rien faire et cela rajoute de la pollution", justifie Valérie Hugues, conseillère municipale en charge du littoral. A la place, pour environ 930 000 euros, la plage sera réensablée et revégétalisée avec des plantes locales connues pour retenir le sable, mais qui avaient été arrachées pour les besoins du tourisme. 

"On a déshabillé la plage pour planter des cocotiers qui ne retiennent rien du tout.Valérie Hugues, élue de Sainte-Anne.

Dans le même temps, la mairie de cette commune de 23 675 habitants a commencé à "reculer les activités pour les mettre en hauteur". "On ne va pas se mentir : l'érosion, nous allons la ralentir, mais nous ne l'arrêterons pas", analyse Valérie Hugues. Première étape de ce travail de longue haleine, le déplacement prochain d'une école de 350 élèves située à 200 mètres de la mer sur un morne – une colline littorale – perché à 70 mètres d'altitude. Relocaliser les habitations du bourg, soumises comme l'école à des risques de submersion, de tsunami et de séisme, n'est pas à l'ordre du jour. "Ce n'est absolument pas 'entendable' pour l'instant, juge Valérie Hugues. Mais cette idée fera peut-être son chemin avec l'accélération de l'érosion et les odeurs des sargasses [les algues qui se déposent sur les côtes]."

Pour trouver des communes françaises où cette idée a vraiment fait son chemin, il faut mettre le cap au sud. Installée entre l'embouchure du Maroni et celle du Mana, dans une zone où le trait de côte recule jusqu'à 65 mètres par an, un record en France, la commune d'Awala-Yalimapo (Guyane) doit composer avec un environnement changeant, qui place alternativement ses deux bourgs sous la menace de l'érosion et de la submersion. "Notre population, nomade, avait l'habitude de s'acclimater à ces différents changements. Mais la sédentarisation depuis soixante-dix ans a modifié cette pratique", raconte le maire, Jean-Paul Fereira. Pour s'adapter, Awala-Yalimapo est en train de réviser sa carte communale et prévoit, à échéance de dix à vingt ans, le déplacement de 300 habitants de Yalimapo, menacé aujourd'hui, vers le bourg d'Awala, plus protégé. Une démarche complexe dans le cadre juridique et politique actuel. "Nous sommes toujours en attente de l'impact du rapport Buchou, pour ses outils et ses mesures d'accompagnement", s'impatiente l'élu guyanais.

 

En Martinique, c'est tout un village qui veut déménager. Le Prêcheur, menacé à la fois par la mer et par les coulées de boue qui descendent de la montagne Pelée, s'est lancé dans un plan sur trente ans pour faire remonter les zones habitées vers les hauteurs. "Pour nous, la recomposition est la meilleure solution. Les ouvrages de défense ont été déjà essayés chez nous et ils peuvent avoir comme conséquence d'accélérer l'érosion", expose Marcellin Nadeau, maire de ce village de 1 500 habitants depuis 2008. Première tranche de travaux : le déplacement de l'école, à horizon 2022, puis des habitations de 300 familles sur un morne où elles seront reconstruites en matériaux biosourcés – "notre projet est aussi une réponse à la réduction des gaz à effet de serre", vante le maire. "Nous n'allons pas contraindre les gens à partir, nous allons essayer de les convaincre. Aujourd'hui, une grande partie est convaincue de la nécessité de se déplacer", assure-t-il.

"Une forme de schizophrénie"

Ce travail qui consiste à convaincre les populations concernées est le nerf de la guerre. Dans le rapport parlementaire du député Buchou, la ville d'Ault (Somme) est présentée comme porteuse d'un projet de relocalisation innovant sur un belvédère qui domine le bourg. Mais depuis sa publication, le vent politique a tourné sur ces falaises situées au sud de la baie de Somme. "Nous avons été élus sur notre volonté de défendre le village et de prolonger la digue construite en 1983", affirme le nouvel édile, Marcel Le Moigne, tout en reconnaissant qu'il sera compliqué de convaincre l'Etat et les autorités locales. Interrogé sur ce revirement, Stéphane Buchou reconnaît que la relocalisation, "des projets sur vingt à trente ans qui ne sont pas consensuels", ne se marie "pas très souvent avec l'ambition politique" et "n'assure pas forcément votre réélection". "Il y a une prise de conscience des élus et des habitants sur ce sujet, mais nous restons dans une forme de schizophrénie", regrette l'élu, en soulignant les prix immobiliers élevés des maisons en bord de mer.

"Un risque réel n'est jamais un sujet simple à aborder", confirme Jean-Paul Vanderlinden, professeur d'économie écologique à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Ce chercheur en sciences sociales, qui a beaucoup travaillé sur cette question d'adaptation au changement climatique dans les zones côtières, appelle à "ouvrir une conversation équilibrée entre les élus et la population", où chacun pourrait faire entendre son point de vue, sans jugement. "Personne n'a envie de se noyer. Et pourtant, des gens se surexposent en zone d'inondation. Et donc, il y a là une vraie conversation qui doit exister, pas une leçon ou une injonction, mais une conversation où il faut réconcilier le désir de ne pas se noyer avec la matérialité de l'existence et nos valeurs", développe-t-il.

Cet échange doit être ouvert. "Penser le problème uniquement en termes d'exposition, c'est-à-dire en termes de digues ou de délocalisation, un peu comme s'il y avait un interrupteur on/off entre deux choix est quelque chose qui bloque la discussion", estime Jean-Paul Vanderlinden. Le chercheur regrette qu'on ne parle pas assez de moyens de réduire la vulnérabilité, comme la France a su le faire pour lutter contre les canicules après la catastrophe de 2003. "Nous n'avons pas simplement dit lorsqu'il y a eu ce surcroît de victimes en 2003 : 'Mettons tous les gens à la montagne ou bien mettons une clim sur tout Paris'. Non, nous avons mis en place des stratégies fines : de l'eau, de la protection, des systèmes d'alerte", schématise-t-il. Et de conclure : "Aujourd'hui, pour le trait de côte, pour l'intrusion marine, il faut qu'on trouve des modalités créatives qui naissent de la discussion pour qu'à la fois l'Etat puisse protéger

ses populations et les populations puissent bénéficier du lieu de vie qu'elles souhaitent.""

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