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En Corse, le débat juridique autour de la lutte anti-mafia

Baptist Agostini-Croce est élève avocat à l'EFB, diplômé d'un Master II Droit pénal international & des affaires de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne

 

 

Récemment, de nombreuses personnes ont rejoint des collectifs se présentant comme Anti-Mafia », lesquels prônent un réveil des consciences collectives ainsi qu’un durcissement de l’arsenal législatif français afin d’endiguer la criminalité organisée sur l’île[1]. Ces associations, dont le combat est légitime, ont formulé un certain nombre de propositions très inspirées du droit pénal italien. De tels objectifs sont présentés comme novateurs pour le système juridique français, considéré comme bien trop pauvre pour résoudre les affaires liées au crime organisé. Cependant, ces propositions ne sont pas adéquates, la législation française couvrant déjà ce domaine. Chacune des idées soumises par les divers collectifs est en effet déjà prise en compte dans le droit positif. Ainsi convient-il de s’attarder sur les similitudes entre les régimes français et italien, à l’heure où la politique carcérale italienne de gestion des mafieux est critiquée par la Cour Européenne[2] et que les audiences préliminaires du Maxiprocès de la ‘Ndrangheta ont débuté à Rome[3]. La présente tribune n’a pas vocation à donner des leçons ni à formuler des propositions au combat contre la dérive mafieuse, son but est simplement d’expliquer que les règles italiennes souhaitées se retrouvent en droit français.

 

L’associazione di tipo mafioso, clé de voûte de la procédure italienne

 

Mesure phare, le fameux délit italien « d’association mafieuse » ne cesse d’être pris en exemple. À lui seul, il serait la solution à tous les maux causés par le crime organisé, effaçant avec vigueur l’empreinte mafieuse dont la Corse est pétrie depuis des décennies. Sauf que lorsque l’on s’attarde sur chacun des alinéas de l’article 416 bis du code pénal transalpin régissant l’infraction précitée, on remarque que les prétendues évolutions que ces dispositions pourraient apporter au sein du droit français se réduisent à peau de chagrin. Pourquoi ? Parce que le droit répressif actuel comprend déjà tous les outils nécessaires à la poursuite des crimes et délits commis dans le cadre de la criminalité organisée. Exprimés différemment, les apports de l’associazione di tipo mafioso se retrouvent sous d’autres formes dans les codes français.

 

Une association « mafieuse » composée de plusieurs individus

 

L’article italien sanctionne : « Quiconque fait partie d’une association mafieuse formée d’au moins trois personnes. » En France, deux éléments importants coexistent, à savoir l’association de malfaiteurs et la bande organisée. La participation à une association de malfaiteurs est définie au premier alinéa de l’article 450-1 du code pénal, qui dispose que « Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement ». L’article 132-71 du même code précise lui que « constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions ». Pour simplifier, la participation à une association de malfaiteurs sera réprimée en cas d’entente d’individus dans le but de préparer un ou plusieurs crimes ou délits, dès lors que chaque participant s’est intégré au groupe en connaissance de cause et avec la volonté d’apporter son aide audit projet. Cette infraction permet donc de poursuivre des actes préparatoires qui, en temps normal en droit pénal interne, ne sont jamais sanctionnés. En effet, le droit français réprime à partir de la tentative, incluant un commencement d’exécution de l’infraction. Or ici, point de commencement d’exécution puisque les individus membres du groupe s’attellent seulement à préparer l’infraction projetée. Cela prouve donc qu’en matière de crime organisé, des outils sont mis en place afin de permettre la répression de ce qui, pour d’autres infractions, ne sera jamais poursuivi. La bande organisée, elle, n’est pas un délit, mais une circonstance aggravante qui ne peut jouer qu’en cas de commission ou de tentative de commission de certaines infractions. Elle suppose une organisation structurée entre ses membres et la préméditation[4]. Elle permet ainsi de sanctionner plus sévèrement un crime ou un délit lorsqu’il est commis par le groupe. Il est très utile de préciser qu’il est possible de condamner une personne pour association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction, ainsi que pour la commission d’une infraction commise en bande organisée, lorsqu’il s’agit de faits distincts[5]. Tout cela démontre également l’ampleur des possibilités qu’offrent la loi et la jurisprudence française en matière de lutte contre ce type de comportements, permettant de réprimer l’ensemble des actions d’un groupe criminel. Ainsi, la loi italienne rejoint la loi française. L’association « mafieuse » d’au moins trois personnes décrite dans le texte italien serait sanctionnée en France par le biais des deux possibilités susvisées.

© Ministère de la Justice

 

L’usage de la force d’intimidation

 

En Italie, l’association est considérée de type mafieuse si ceux qui en font partie utilisent « la force d’intimidation » du lien associatif et « l’omertà » pour commettre des délits ou crime, ou pour « acquérir de manière directe ou indirecte la gestion ou le contrôle d’activités économiques, de concessions, d’autorisations, de marchés et de services publics ou pour obtenir des profits ou des avantages injustifiés pour eux-mêmes ou pour autrui, ou pour empêcher ou entraver le libre exercice du vote, ou pour obtenir des votes pour eux-mêmes ou pour autrui à l’occasion des consultations électorales » . Là aussi, les militants souhaitent que la force d’intimidation soit reconnue en droit interne. Cependant, cet alinéa n’est que le reflet français de plusieurs infractions existantes. Lorsque l’on intimide quelqu’un pour obtenir quelque chose, il peut s’agir, en fonction des circonstances, d’une extorsion, qui est réprimée à l’article 312-1 du code pénal comme le fait « d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, valeurs ou d'un bien quelconque », ou encore d’une menace avec ordre de remplir une condition (article 222-18 du même code). Ensuite, le texte italien indique sanctionner plus sévèrement lorsque l’association est « armée », ce qui est également le cas en France puisque le fait de commettre certaines infractions avec une arme augmente le quantum de la peine encourue. Il poursuit en prévoyant des peines plus lourdes dans l’hypothèse où « les activités économiques dont les associés veulent prendre ou maintenir le contrôle sont financées en tout ou partie par le prix, le produit ou le profit de délits ou crimes » ce qui est déjà pris en compte par l’infraction de blanchiment prévue aux articles 324-1 et suivants du code pénal.

 

La question de la confiscation des biens mafieux

 

Enfin, l’avant-dernier alinéa de l’article 416 bis dispose qu’en cas de condamnation, la confiscation des choses ayant servi ou qui ont été destinées à commettre l’infraction est obligatoire, de même pour les choses qui en sont le prix, le produit, le profit ou qui en constituent l’emploi. L’article 131-21 du code pénal français évoque la peine complémentaire de confiscation, laquelle peut être prononcée notamment lorsque le bien constitue l’objet ou le produit de l’infraction, ou encore lorsque celui-ci a servi à la commission de l’infraction. Seul diffère donc le côté obligatoire, qui reviendrait en France à mettre en place une peine automatique de confiscation. Celle-ci pourrait éventuellement se heurter à l’alinéa premier de l’article 132-17 du code pénal, selon lequel aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l'a pas expressément prononcée. Le collectif souhaite également des saisies préventives[6]. La procédure italienne prévoit effectivement un tel procédé, puisque « Les juges déduisent d'indices objectifs, tels qu'une disproportion importante entre le train de vie et les revenus apparents ou déclarés, que les biens constituent le produit d'activités illicites ou leur emploi. Le tribunal ordonnera la confiscation des biens saisis dont la provenance légitime n'a pas été démontrée. En revanche, si la preuve de leur origine licite est apportée, il devra révoquer la saisie. »[7] La saisie préventive italienne n’est pas sans rappeler la possibilité des mesures conservatoires offerte par la procédure pénale française, à ceci près que la saisie transalpine existe de manière autonome, indépendamment de tout procès pénal, alors qu’en France la saisie conservatoire a pour but de garantir la peine complémentaire de confiscation future. Ainsi en est-il des saisies pénales spéciales, qui, en pratique dans les dossiers financiers, sont très souvent appliquées.

 

La non-justification de la provenance des biens

 

Il a également pu être dit qu’une « démocratie doit pouvoir exiger d'une personne qui entretient des relations avec une organisation criminelle qu'elle fasse la démonstration qu'elle a acquis ses biens avec des revenus licites et à défaut de les confisquer »[8]. C’est précisément l’objet du délit français de non-justification des ressources qui réprime, à l’article 321-6 du code pénal : « Le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d'une de ces infractions ». Concernant la confiscation dudit bien, l’article 321-10-1 du même code indique que les personnes physiques coupables des délits prévus aux articles 321-6 et 321-6-1 encourent également la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie de leurs biens, quelle qu'en soit la nature, meuble ou immeuble, divis ou indivis, dont elles n'ont pu justifier l'origine.

 

Le danger latent d’une répression plus forte

 

Dès lors, il n’est sans doute pas envisageable d’exiger l’inscription de la lutte anti-mafia dans la loi française, laquelle dispose d’un arsenal relativement bien fourni. De plus, il convient de ne pas oublier l’ensemble de la procédure dérogatoire en matière de garde à vue, de perquisitions, de techniques spéciales d’enquête, du statut de « repenti » ou encore de juridictions spécialisées permise par le droit français en matière de crime organisé. Ces pouvoirs sont extrêmement lourds et attentatoires aux libertés individuelles, et la tendance pour laquelle opte la loi du 23 mars 2019, qui permet que certaines procédures applicables à la criminalité organisée soient autorisées pour « tout crime », nous rappelle que souhaiter un durcissement des dispositions propres à la lutte contre le grand banditisme expose à un glissement dangereux et progressif de ces régimes d’exception vers le droit commun. Derrière le prisme de la lutte contre les dérives mafieuses, il est donc important de ne pas oublier la conservation de l’État de droit.

 

[1] « Le collectif Massimu Susini veut inscrire la lutte anti-mafia dans la loi », Corse-Matin, 26 septembre 2020.

[2] « Selon la CEDH, l’Italie traite de façon inhumaine les mafieux », Courrier international, 9 octobre 2019.

[3] « L’Europe sous-estime la ‘Ndarangheta », Le Monde, 28 octobre 2020.

[4] Cass. Crim., 8 juillet 2015, n°14-88.329.

[5] Cass. Crim., 19 janvier 2020 (Bull. Crim., n°11), confirmé par Cass. Crim., 22 avril 2020, n°19-84.464.

[6] « Le collectif Massimu Susini veut inscrire la lutte anti-mafia dans la loi », Corse-Matin, 26 septembre 2020.

[7] « La saisie du produit du blanchiment sur le territoire française », Chantal Cutajara, Recueil Dalloz 2009. 2250.

[8] « Le collectif Massimu Susini veut inscrire la lutte anti-mafia dans la loi », Corse-Matin, 26 septembre 2020.

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