MEDIA CORSICA
L'ajaccien Julien Battesti signe son entrée en littérature
Julien Battesti, nouveau venu corse dans le paysage littéraire française . Le jeune ajaccien de 34 ans a publié en octobre dernier
L'imitation de Bartleby dans la prestigieuse collection L'Infini, chez Gallimard. Une belle reconnaissance pour cet ouvrage d'une
remarquable érudition, et d'une grande originalité.
Par Sébastien Bonifay Publié le 01/12/2019 à 09:17 Mis à jour le 05/12/2019 à 13:06
Julien Battesti, ce pourrait être, de prime abord, un Bartleby moderne.
Comme le héros du chef-d'œuvre d'Herman Melville, qui dit non à tout ce qu'on lui demande, d'une manière aussi polie que
définitive, le jeune homme semble avoir érigé la célèbre phrase de Bartleby, "I would prefer not to" [je préfèrerais ne pas (le faire)]
au rang de philosophie de vie.
A 16 ans, alors que le baccalauréat se profile, Julien Battesti, lycéen à Porto, préférerait ne pas le passer.
Et il quitte l'école. Il tente sa chance dans le domaine du tourisme. Au bout de quelques mois, il constate qu'il préférerait ne pas
travailler ainsi. Et il démissionne. La vie professionnelle qu'il est contraint, un temps, d'affronter, il se dit qu'il préférerait ne pas
s'y frotter. Et il se retire du monde du travail avant même d'y être vraiment entré.
Nous avons eu envie de parler de ce roman sans nous fatiguer, er reprenant ce mois-ci le très bel article de Sébastien Bonifay
Qui lui est consacré.
J'ai échangé au téléphone avec Julien Battesti et je n'avais pas encore acheté et lu son livre.. Mais lors de cet échange téléphonique, j'ai ressenti des liens étonnants que je livrerai dans un prochain article. Ce sera aussi pour moi, et je l'espère pour vous lecteurs, l'occasion de faire la connaissance de Julien Battesti...
Pierre-Paul Battesti
L'imitation de Bartleby, le premier roman de Julien Battesti / © Sébastien Bonifay
"Je n'étais pas vraiment fait pour avoir des interactions en permanence avec les gens. Ca provoquait des crises.
Donc on a préféré l'éviter." Attablé dans la salle tapissée de pourpre capiteuse d'un vieux café bastiais, Julien Battesti
raconte cela, non sur le ton de la confession, mais du simple constat.
Et ne voit guère l'utilité d'un sourire venant désamorcer l'étrangeté d'un tel aveu dans un monde où les interactions
permanentes sont devenues la norme. Dans son col roulé noir, sous un costume sombre d'une sobriété de séminariste,
Julien Battesti semble se suffire à lui-même.
Que faire de la compagnie des hommes, lorsque l'on a les livres ?
J'avais vingt ans quand j'ai décidé de ne plus faire que ça. Vivre parmi les livres - Julien Battesti
L'auteur ajaccien commande un second café, et ajoute : "j'ai découvert la littérature à 16 ans. A Porto, où je vivais
depuis quelques années. En lisant Madame Bovary... J'ai décidé de consacrer ma vie à la littérature, et je n'ai plus fait
que cela. C'est ce qui m'a mis en vie, les phrases. Il n'y avait pas grand chose pour me maintenir en vie à l'époque.
Je n'ai jamais connu de grands malheurs, mais je me suis toujours senti dans une sorte de solitude dans le langage.
J'avais une vingtaine d'années lorsque j'ai décidé d'arranger ma vie de façon à ne plus faire que cela. Lire, et écrire. Vivre parmi les livres".
Julien Battesti répond à mon regard interloqué d'un "j'ai eu de la chance d'être aidé" qui ne laisse guère de place à
des interrogations plus indiscrètes à ce sujet.
Julien Battesti / © Sébastien Bonifay
Julien Battesti, un Bartleby moderne ?
Pas si sûr finalement.
Le héros de Melville est un copiste employé par un avoué de Wall Street qui s'enfonce dans la passivité, voire l'inaction, jusqu'à se perdre dans cette inaction, et en mourir peut-être.
Julien Battesti, lui, n'a pas (totalement) cédé à cette passivité, a transformé cette distance au monde contemporain, et en a fait un livre.
Qui, comme de juste, a pour point de départ et pour sujet principal Bartleby le Scribe.
Innombrables sont les essayistes, universitaires et philosophes, tels que Blanchot, Deleuze et Derrida, à s'être penchés sur le personnage de Bartleby qui, en quelques dizaines de pages à peine, a acquis un statut à part dans la littérature mondiale. Julien Battesti, sans trembler, vient porter sa pierre à l'édifice avec son Imitation de Bartleby.
Publié, excusez du peu, dans la remarquable et un chouïa élitiste collection L'Infini, dirigée par Philippe Sollers chez Gallimard.
"Il y avait un grand danger dans ce livre un peu bizarre, c'était de tomber dans un didactisme, dans une démonstration, alors il fallait essayer de tramer au mieux l'interprétation de ce récit tout au long du roman", confesse le jeune écrivain.
Une enquête littéraire érudite
Ce roman est une enquête littéraire d'un genre particulier, que Julien Battesti a conçu comme une pérégrination intellectuelle, au gré des réflexions et des pensées de son narrateur.
Un étudiant en théologie à l'institut Catholique de Paris, qui passe ses journées allongé au sol, contemplant le plafond, en proie à un terrible mal de dos.
Et qui laisse divaguer son esprit.
Un étudiant qui a lu Melville, et qui un jour, par le plus grand des hasards, tombe sur une vidéo sur Youtube. La video d'une septuagénaire, Michèle Causse, qui décide de mettre fin à ses jours par suicide assisté, à Zurich, alors qu'elle n'est atteinte d'aucune maladie grave
Le narrateur est fasciné par cette démarche, qu'il peine à comprendre. Et, hasard troublant, il découvre quelques temps plus tard que cette Michèle Causse est l'une des traductrices de Bartleby le Scribe...
Julien Battesti, d'une voix presque chuchotée, le reconnaît : "Il y a un peu de moi dans le personnage. J'avais lu le livre et j'avais vu aussi ce film, en glissant de lien en lien, par hasard. La mort de Bartleby et celle de Michèle Causse sont a priori incompréhensibles.
Évidemment les grandes douleurs sont invisibles, mais on ne comprend pas pourquoi cette femme se donne la mort. Et le décès de Bartleby, on ne l'a jamais vraiment compris non plus... J'ai voulu mettre ces deux incompréhensions en rapport pour qu'une parole puisse se mettre en vie. En trouvant ces deux pierres, que je pouvais frotter, Bartleby et Michèle Causse, j'ai eu l'impression qu'il y avait quelque chose de nécessaire, qui devait être écrit."
Julien Battesti, L'imitation de Bartleby / © Sébastien Bonifay
L'imitation de Bartleby, un court roman hypnotique d'une centaine de pages, se lit avec gourmandise. L'érudition n'est jamais écrasante, les références font sens, et puis, surtout, on découvre Michèle Causse, traductrice, essayiste, lesbienne militante et féministe radicale, qui a vraiment existé, et qui est un personnage d'un romanesque indéniable.
L'audace et la maîtrise de ce premier livre sont indéniables.
Et on se demande ce qui pourra suivre un tel OVNI littéraire.
Julien Battesti en sourit : "Moi aussi, j'aimerais savoir ce qui viendra après. J'ai une vague idée d'un prochain livre, mais bon..." Une légère hésitation, le temps d'ajuster la manche de son costume.
"En fait, je pense que si Dieu me prête vie jusqu'à 90 ans, j'écrirai 3 ou 4 livres. J'ai mis beaucoup de temps à écrire L'imitation de Bartleby. 4 ans. J'ai eu l'idée de ce livre et pendant un an je n'ai rien fait. Au bout d'un an j'ai écrit la première phrase, et ensuite, il m'a fallu six mois pour trouver ce qui devait suivre. J'écris assez lentement."
Si je m'étais tordu pour essayer d'être normal, je pense que j'en serais mort - Julien Battesti
Notre discrétion peine à résister à ce nouvel aveu. On ne peut s'empêcher de demander à Julien Battesti comment il a pu vivre pendant près de quinze ans sans travailler ni même arriver à terminer son premier livre. Un livre qui, quoi qu'il en soit, ne devrait pas lui permettre de gagner sa vie...
L'écrivain ne semble pas heurté par notre question.
"Disons qu'il y a une situation autour de moi qui me permet de me consacrer totalement à cela. Si je m'étais tordu pour essayer de me normaliser, je pense que j'en serais mort. Et j'ai eu la chance d'avoir beaucoup d'amour, de bienveillance autour de moi. Des gens qui ne voulaient pas ma mort. Et ils m'ont permis de vivre comme cela..."