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Ni pacte jacobin ni pacte girondin : pour une démocratie du XXIe siècle
Il semble que la culture politique française soit restée collée irrémédiablement au XVIIIe siècle. En témoigne aujourd’hui le débat passionné autour de deux conceptions politiques qui s’affrontent : "Jacobins ou Girondins ?" Les deux notions ont pourtant bien vieilli. Ne serait-il pas temps de passer à une organisation politique plus adaptée aux défis de notre époque ?
"Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau" Alexis de Tocqueville - De la Démocratie en Amérique -
Depuis plus de deux siècles, la France a la réputation d'être une terre "jacobine". Aussi, en évoquant un nouveau pacte girondin, Emmanuel Macron a-t-il donné l'illusion de la modernité. Lors de sa visite si attendue en Corse les 6 et 7 février, certains pensaient qu'il allait dessiner les contours de ce nouveau pacte.
Dans les faits, le lendemain de son discours de Bastia, le quotidien Corse Matin affichait une Une en noir, au titre significatif : " Le pacte Jacobin". Il est vrai que le président, lors de ses discours d'Ajaccio et de Bastia, avait décliné d'une manière originale son traditionnel " en même temps". Sa position ressemblait fort à "La République française et en même temps, la République française !" Mais pouvait-on s'attendre à autre chose d'un digne produit de l'ENA ? Et n'est-ce pas dans une autre direction que celle de la réactivation d'un débat vieux de deux siècles et demi qu'il nous faut maintenant regarder ?
La fausse opposition Jacobins-Girondins
Il est facile de ne retenir de l'histoire que ce qui nous arrange, et l'opposition Jacobins-Girondins, qui revient régulièrement dans les débats politiques si français sur les institutions, fait partie de ces traits. Car on oublie souvent de rappeler que les "Girondins" étaient pour la plupart membres du Club des... Jacobins, ce club qui s'appela d'abord "Club Breton" !
On est loin de l'imagerie qui voudrait que les Girondins représentent la Province décentralisatrice face à une volonté parisienne de confisquer la Révolution en la centralisant. Certes, la position des Girondins, dans leur bataille contre les Montagnards, Parisiens pour la plupart, dont les célèbres Danton, Robespierre, Marat, représentait une forme de modération. Mais qui ne saurait faire oublier que les Girondins étaient des républicains convaincus, qui se sont surtout opposés aux Montagnards sur des questions de guerre, de personnes et de rythme des changements. Le triptyque Liberté, Égalité, Fraternité, même s'il fut pour la première fois formulé par Robespierre, est aussi leur credo. La République une et indivisible reste leur référence, qu'il s'agisse des Girondins de l'époque ou de ceux d'aujourd'hui.
Qu'un Jean-François Cambadélis, ex-patron du PS, se réclame d'une gauche girondine, lui l'ancien trotskiste, ne doit pas faire illusion : s'il existait un véritable projet fédéral dans la gauche française, cela aurait fini par se voir, réforme territoriale après réforme territoriale. Quant à la droite girondine qui, d'après un article de Challenge de juin 2017, s'opposerait au Jacobin Macron, difficile de ne pas y voir un calcul d'opportunité.
Si un Xavier Bertrand s'est donné facilement cette image, en choisissant de se consacrer entièrement à la présidence de sa région "Hauts-de-France" plutôt que de se lancer dans la course à la présidence des Républicains, il est impossible de ne pas noter que sa conversion doit être bien tardive : rien dans les nombreuses fonctions ministérielles qu'il a occupées entre 2004 et 2012 n'a laissé transparaitre une remise en cause profonde de la pyramide qui régit la France.
Quant au respecté ancien Président de la Région Bretagne - cette "région d'appartenance", pour reprendre ses propres termes - qu'il n'a pas hésité à quitter pour les ors des ministères de la Défense, puis des Affaires étrangères, sous deux présidents successifs, il montre bien que, pour les hommes politiques français toutes tendances confondues ou presque, le pouvoir se tient à Paris et pas ailleurs.
Un problème plus profond
Car ce n'est pas en tentant de raviver des clivages, plus ou moins réels, datant de la Révolution française, que la France pourra aborder sa nécessaire modernisation. Ou plutôt, ce serait en allant bien plus loin que cette pseudo opposition Girondins-Jacobins. C'est le triptyque même Liberté - Égalité - Fraternité qu'il faudrait questionner. C'est en effet au nom de cette mythique égalité que la France atteint une situation de blocage institutionnel sans égal parmi ses homologues européens.
Là encore, notre culture politique ne réussit pas à dépasser la Révolution et la conception si spécifiquement française de la "nation" : tous les individus, quelles que soient leur profession, leur religion, leur origine, doivent être des "citoyens égaux" auxquels l'État reconnait des droits individuels, mais aucun droit collectif spécifique.
On se souvient de la célèbre formule