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Yannick Jadot, l’écolo pragmatique
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« Un pilier d’EELV » pour les uns, « trop droitier » pour les autres, l’eurodéputé Yannick Jadot se pose à la primaire écologiste comme le candidat capable de propulser les Verts à la présidentielle de 2022. Reste à convaincre certains militants déçus de son retrait en 2017.

Reporterre publie chaque jour de la semaine le portrait et l’interview de l’un des cinq candidats à la primaire des écologistes, dont le premier tour se déroule du 16 au 19 septembre et le second du 25 au 28 septembre, en vue de la présidentielle de 2022. L’ordre de passage a été tiré au sort.

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Paris (14e)

La dernière fois, il s’était désisté. Cette fois, il semble y croire : « La vraie radicalité écolo, c’est de gagner l’élection présidentielle ! » Rencontré par Reporterre dans un café de la place Denfert-Rochereau, à Paris, Yannick Jadot apparaît sûr de lui, son mètre quatre-vingt-onze adossé à la banquette, persuadé d’avoir « la capacité de convaincre et de rassembler une majorité de Français, pour mener les écologistes au pouvoir ». Les militants d’Europe Écologie—Les Verts (EELV), dont l’aile gauche le considère « trop droitier », lui confieront-ils cette mission ?

Député européen depuis plus de douze ans, personnalité la plus médiatisée chez les Verts, il est donné, par certains sondages, en tête des candidats de la primaire écologiste. « Son parcours ne laisse aucune ambiguïté sur sa détermination à agir [...] pour le climat, pour la biodiversité, pour la justice sociale, pour l’économie », a écrit à son sujet le député écologiste de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, dans une lettre de soutien datée du 4 septembre. Vraiment ?

 

Yannick Jadot à Paris, le 30 août 2021. © Mathieu Génon/Reporterre

De Greenpeace au Parlement européen

Né en 1967, le jeune Yannick Jadot, qui a grandi à Laon (Aisne), ne rêvait pas de l’Élysée, mais plutôt de prouesses footballistiques et de grands mammifères. « J’avais accroché aux murs de ma chambre les posters de Dominique Rocheteau (Saint-Étienne) et Kevin Keegan (Liverpool) », se remémore-t-il, citant les deux ailiers droit évoluant dans des clubs à la forte identité ouvrière. « À côté, j’avais installé une photo de baleines avec le logo de Greenpeace, déjà un mythe pour moi », poursuit-il, une lueur dans les yeux. Il lisait alors Les Racines du ciel de Romain Gary, un roman qui l’a « construit sur l’écologie, bien avant André Gorz ».

Après des études d’économie, le jeune homme a passé plusieurs années dans l’humanitaire au Burkina Faso et au Bangladesh. En 1995, il a rejoint Solagral, une ONG spécialisée dans l’appui aux pays en développement, luttant notamment contre la mondialisation néolibérale et participant à l’essor du mouvement altermondialiste. Il était à Seattle, en 1999, pour le contre-sommet de l’Organisation mondiale du commerce, ou encore à Porto Alegre, en 2001, lors du Forum social mondial.

En 2002, il a réalisé son rêve de jeunesse en devenant directeur des campagnes de Greenpeace. Une aventure débutée à bord d’un Zodiac — « avant même qu’un bureau ne me soit attribué » — pour neutraliser l’Agia Irène, navire transportant 1 500 grumes du Liberia, exportées par des compagnies qui finançaient la guerre civile en Sierra Leone. Trois ans plus tard, Yannick Jadot a pénétré dans la base opérationnelle de l’île Longue (Finistère), où se trouvaient des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la Marine nationale. Une action pour laquelle il sera condamné pour « atteinte aux intérêts supérieurs de la nation ».

« Il était évident qu’il deviendrait l’un des piliers d’EELV. »

En 2008, il a quitté Greenpeace pour entrer dans l’arène politique à EELV. « Les ONG remplissaient pleinement leur rôle de contre-pouvoir, mais ça ne suivait pas côté politique, donc j’ai voulu être élu pour incarner cet espace », explique Yannick Jadot. Dès l’année suivante, lors des élections européennes, il était propulsé dans la liste écologiste par Daniel Cohn-Bendit et devenait député européen avec Eva Joly, Pascal Canfin ou encore Karima Delli. « Il avait déjà une forte personnalité, il était évident qu’il deviendrait l’un des piliers d’EELV », dit à Reporterre Daniel Cohn-Bendit, devenu proche de Jadot « à force de partager des soirées foot à Bruxelles et Strasbourg ».

Yannick Jadot a été réélu en 2014, puis en 2019, où il était à la tête de la liste nationale qu’il présentait comme « ni de droite ni de gauche ». Cette année-là, EELV a remporté 13,47 % des suffrages exprimés, plus de 3 millions de voix, et s’est affirmé comme la troisième force politique française du scrutin.

Au Parlement européen, depuis le début, il combat les traités de libre-échange — l’une de ses apostrophes contre le Ceta [1], en 2016, a été visionnée plus de 1 million de fois —, la pêche électrique ou encore milite pour l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. « Nous ne sommes pas en majorité au Parlement européen, il faut composer avec différentes affinités politiques pour gagner des batailles, observe Damien Carême, camarade de M. Jadot au sein de l’institution européenne. Il a cette capacité à parler à tout le monde, même aux libéraux. »

La « trahison » de 2017

En parallèle, Yannick Jadot est devenu de plus en plus influent au sein d’EELV, malgré une relation houleuse avec Cécile Duflot : « Après les européennes de 2009, j’avais proposé que Yannick Jadot devienne secrétaire général du parti aux côtés de Cécile Duflot, raconte Daniel Cohn-Bendit. Mais elle refusait l’idée qu’il monte dans la hiérarchie politique des Verts, le considérant déjà comme un concurrent. »

L’ancienne ministre du Logement avait vu juste : en 2016, elle a été éliminée au premier tour des primaires d’EELV... remportées par Jadot. Mais le 23 février 2017, au journal de 20 heures de France 2, le candidat des Verts pour la présidentielle a surpris plus d’un militant en se retirant en faveur de Benoît Hamon, le candidat du Parti socialiste (PS). « Ce jour-là, il s’est moqué du collectif en s’asseyant sur les 7 500 votants de la primaire écolo, qui devaient être consultés avant un tel choix, se souvient Marie [*], membre d’EELV qui soutenait alors Yannick Jadot. Nous l’avons vécu comme une trahison. »

« Nous étions alors en février et n’avions plus le temps de traîner, se justifie Yannick Jadot, ponctuant ses phrases de grands gestes de la main. Le programme de Benoît Hamon était très proche du nôtre, l’accord avait été négocié et nous avions le soutien consensuel d’une cinquantaine de personnes qui représentaient toutes les sensibilités d’EELV. » L’accord a été validé quelques jours plus tard à 79,53 % par les électeurs écologistes. « Parce qu’on ne voulait pas avoir l’air bête », justifie Céline [*], cadre du parti, qui soutenait Yannick Jadot jusqu’à ce désistement. Toujours amère, elle se demande « si Jadot va payer ce choix cette année ».

« Gouverner, ce n’est pas confortable »

Malgré sa notoriété, la bataille des primaires n’est pas gagnée pour l’eurodéputé, considéré comme « trop réalo » par l’aile gauche de son parti. « Il n’est pas assez anticapitaliste, pas assez de gauche, soutient Céline. Il est de ces élus écolos qui pensent que pour prendre le pouvoir, il faut être pragmatique et pas trop radical. Mais avec l’urgence climatique, les fractures sociales, l’ubérisation de la société, on n’a pas le temps de ne pas être radical ou de ménager l’électorat du centre. »

« De la nationalisation temporaire des entreprises au “treizième mois écolo”, en passant par le revenu minimum à partir de 18 ans, toutes les mesures qu’il propose sont profondément de gauche, répond Éva Sas, porte-parole d’EELV et proche de M. Jadot. Je le trouve à la fois radical dans ses objectifs et ouvert dans son dialogue. »

« Moi, je suis pour une profonde régulation du système capitaliste, nous dit Yannick Jadot. L’urgence climatique et sociale sont telles que je ne veux pas attendre de l’avoir renversé pour agir. Sans savoir, d’ailleurs, ce que celles et ceux qui se disent anticapitalistes veulent à la place. Aujourd’hui, il y a beaucoup de colère, de frustration et de précarité. Il faut apporter des réponses concrètes. »

« Yannick Jadot est apparu déconnecté des colères populaires. »

Récemment, les cadres du parti lui ont reproché sa participation à une manifestation organisée après la mort d’un policier lors d’une opération antidrogue, le 19 mai dernier, devant l’Assemblée nationale. « On peut mettre les pieds dans le plat, soutenir la police, sans manifester avec le syndicat Alliance et l’extrême droite », dit Céline, agacée. Damien Carême avoue « avoir d’abord été choqué, comme tout le monde », mais trouve finalement « ce choix très courageux, il ne voulait pas laisser les autres syndicats, comme la CGT-Police, seuls au milieu des fachos ». « Cette décision n’était pas confortable, mais je l’assume. Gouverner, ce n’est pas confortable », dit Yannick Jadot.

Plus globalement, « ces dernières années, Yannick Jadot est apparu déconnecté des colères populaires comme le mouvement des Gilets jaunes [Il avait notamment déclaré “Il faut que ça s’arrête” en évoquant ces mobilisations] ou l’énorme force qui anime les mouvements féministes, de jeunesse, contre la précarité, etc. », regrette Marie.

Les résultats des précédentes primaires ont souvent été défavorables aux personnalités les plus médiatiques : Cécile Duflot, éliminée dès le premier tour en 2016, Nicolas Hulot en 2011. Des raisons sérieuses de s’inquiéter ? « D’un côté, il peut prendre un camouflet pour son manque de radicalité, de l’autre, il incarne le vote utile », soupèse Céline. « C’est surtout le seul qui saura garantir la candidature écologiste, affirme Éva Sas. Sans la notoriété de Jadot, dans la séquence de rassemblement de la gauche, nous serons obligés de nous ranger derrière d’autres partis. Et l’écologie passera encore au second plan. »

Yannick Jadot a d’ailleurs pris les devants en initiant, en avril dernier, un rendez-vous des ténors de la gauche. Mais il jure qu’il ne se rangera, cette fois, derrière aucune autre force politique avant le premier tour. « Si je devais définir l’objectif de sa campagne, ce serait de finir devant les Socialistes et devant Jean-Luc Mélenchon, analyse Daniel Cohn-Bendit. Sa stratégie est de devenir, avec cette présidentielle, le pilier incontournable de la reconstruction de la gauche en France. »

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