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Cynthia Fleury

 

Vit à Paris

 

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La chronique de l'Huma offerte par Cynthia Fleury

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psychanalyste et philosophe française, enseigne la philosophie politique (en qualité de research fellow et associate professor) à l'American University of Paris 3, est également chercheur associé au Muséum national d’histoire naturelle.

 

Le 24 mars 2017 "L'HUMANITÉ"

La semaine de 4 jours

La médecine sans médecins

Les marginaux

 

Mais nous sommes de plus en plus nombreux à vivre à contretemps, à contre-lieu… sans former pour autant une communauté.

À sa fille, la lady anglaise répète toujours le même conseil, au fondement du savoir-être : « de la singularité, my dear, pas de la marginalité ». Pour retrouver la légitimité de ladite marginalité, et sans nul doute sa généralisation, sans oublier sa part d’ombre, il faut se tourner vers Pierre Sansot, mort en 2005, qui avait parfaitement interrogé cette notion, et plus précisément celle qui surgit aux confins de la ville et de la modernité.

Olivier Mongin, directeur de publication des revues Esprit et Tous urbains, préface, chez Payot (« Rivages poche », 2017), une série de trois textes inédits, posthumes, dans laquelle l’écrivain, entre philosophie et littérature, tente de cerner les formes sensibles de la vie sociale, « les traboules du réel », et une certaine poétique de la ville. Mongin nous rappelle l’anecdote livrée par Sansot dans les Pilleurs d’ombres, qui nous dépeint parfaitement sa personnalité : « Mes élèves avaient compris mon attirance pour l’ombre, ce morceau de nuit, et ils avaient collecté plusieurs ombres, celle d’un cerisier, celle d’un mur, celle d’une palissade, etc., et ils m’offrirent ce magnifique bouquet d’ombres. » Chez Sansot, la modernité n’est pas seulement le signe de la rationalisation et du désenchantement, c’est aussi le moment où l’on casse, où l’on fait preuve d’ingratitude pas seulement par nihilisme, mais parce que l’on se sait capable et désireux d’inventer du nouveau. L’ingénieur devient alors la nouvelle figure, comme l’a été l’Artiste, le Prêtre, l’Instituteur, l’Homme politique, etc. Face à cette exaltation de la machine, la figure de Charlot s’est aussi dessinée, à la fois marginale et universelle, maladroit à la chaîne, et terriblement habile pour semer patrons, bourgeois et policiers. Depuis, l’urbanisation accélérant son phénomène et la rationalisation son efficacité, la marginalité se multiplie, elle n’est plus au dehors, elle traverse, empruntant chaque jour la dynamique souterraine. « Le métro vient encore faire vaciller les assises de notre géographie – et les lignes de démarcation du centre et de la périphérie. En effet, l’opposition n’est plus celle du dedans et du dehors ; mais du diurne et du souterrain. (...) Les lignes de métro (…) relient sans transition ce qui, à la surface de la terre, se répudie, s’ignore. » Ce que cherche aussi à montrer Sansot, c’est comment la marge n’est plus nécessairement ce qu’on imagine, les seules errances ou périphéries. La marge, c’est ce « mélange inconfortable d’errance et de fixation. La population marginalisée retrouve la condition d’un nomade à résidence ». En somme, être mal quand on bouge, être mal quand on demeure. Nulle part chez soi, et un désir de l’ailleurs qui s’émousse tout autant, car l’espérance est de moins en moins une valeur de la postmodernité. Typiques de ces marginaux du dedans, de l’enclavement du centre, les paysans, exclus par excès d’inclusion. Ils vivent « paradoxalement trop à l’intérieur de la France pour participer à son existence ».

Olivier Mongin vient d’une génération anti-totalitaire portée par des valeurs démocratiques venues de l’histoire culturelle, philosophique et politique européenne. Mais le monde d’aujourd’hui est beaucoup plus grand que l’Europe qui est maintenant décentrée. Les valeurs européennes ne sont pas dévalorisées, mais il faut les penser dans un monde dont l’Europe n’est plus le centre. 

http://www.esprit.presse.fr/la-redaction/mongin-olivier-16

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