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Face à la pandémie, l’écologie

 


La pandémie en cours révèle et aggrave la crise globale de notre civilisation. C’est d’ailleurs le mépris de la nature qui constitue la cause immédiate la plus vraisemblable de la zoonose et des drames que nous subissons.
Cette crise est mondiale, avec une variété quasi infinie de variantes locales ou régionales.

Elle est aussi multidimensionelle : sanitaire, écologique, sociale, démocratique, culturelle, économique, géopolitique…, chaque dimension interférant avec les autres : ainsi, l’urgence sanitaire engendre la dépression économique, les drames sociaux qui en découlent, l’approfondissement de la crise démocratique, etc.
Cette crise de civilisation s’inscrit dans les temps longs, ceux de l’histoire de l’humanité : jusqu’aux années 1960 triomphait une vision prométhéenne de l’accélération de l’histoire, fondée sur la domination de la nature et le productivisme. Or, durant la décennie 1965-1975, se manifeste une « grande inflexion » qui engendre une décélération des grandes forces motrices (démographiques et technologiques), d’abord dans les grands pays dominants, puis progressivement dans l’ensemble des autres pays : de la fascination pour les facteurs d’accumulation et les courbes exponentielles, on passe à l’analyse méticuleuse des facteurs limitant et des freinages logistiques. Comme il est normal,
cette grande inflexion est d’abord imperceptible, ou du moins sous-estimée par le plus grand nombre, dont nous-mêmes, les premiers écologistes faisant figure d’exception autour du rapport sur les « limites de la croissance » du Club de Rome (1968-1972) et du couple Meadows, formé par une écologue et un économiste… Avec le recul du temps, un demi-siècle après, cette grande inflexion s’est manifestée de façon très variable (cf. annexe). Ce qu’on peut en retenir, c’est que la croissance zéro ou même la décroissance ne sont plus de l’ordre du vœu irréaliste, mais de plus en plus de celui
d’une réalité observée. A ceci près, qu’il ne s’agit pas pour l’instant d’une évolution choisie, mais d’une évolution subie, qui s’effectue le plus souvent trop tard et pas de la meilleure des façons.
Pour prendre conscience de cette décélération tendancielle, il suffit de considérer les deux composantes de la croissance : la population mondiale, après avoir été multipliée par 8 depuis 1800, va atteindre son zénith entre 2070 et 2100 ; dans le même temps, la croissance de la productivité par tête dans les pays développés a été divisée par 5, tombant de 5% à 1% par an environ ; aux rythmes des crises financières (2008), puis sanitaires (2020), elle cesse d’augmenter et les nouvelles normes sanitaires et environnementales nécessaires ne feront que la réduire, en dépit de la numérisation galopante de nos sociétés. Les économistes orthodoxes, eux-mêmes, parlent désormais de « stagnation séculaire » (Larry Summers, au congrès de l’Association Internationale de Sciences Economiques). Mais le constat ne peut pas être que quantitatif et économique, il doit être qualitatif et anthropologique. Le constat fondamental est que malgré le déchainement de la publicité, le règne de la marchandise s’épuise à l’avantage de nouvelles relations fondées sur la hiérarchie ou, au contraire, sur la gratuité.
L’actuelle crise de civilisation ne se résoudra sûrement pas dans les deux ou cinq ans à venir. Compte tenu du caractère chaotique de la situation, son issue est imprédictible. Il est donc raisonnable d’en avoir collectivement une perspective, ni utopique (« demain on rasera gratis »), ni distopique (catastrophisme), mais « a-topique », qui ne préjuge pas plus ou moins passivement de cette issue, mais qui milite en faveur de celle qui nous parait la plus souhaitable.
Ce qui est vraisemblable, c’est que la phase aigue de crise et de mutations qui nous conduira à une sortie heureuse ou malheureuse sera conflictuelle dans au moins trois domaines : dans l’ordre intérieur, les conflits de répartition pour aggraver ou réduire les inégalités sociales ; dans l’ordre extérieur, les conflits géopolitiques entre les USA et la Chine, mais aussi entre Etats voisins, visant à « exporter leurs difficultés (Inde et Pakistan, Turquie et Grèce, etc.) ; dans l’ordre du pouvoir, la lutte pour l’hégémonie n’est pas binaire entre capitalistes et prolétaires, comme dans le marxisme vulgaire, mais elle se déroule dans une relation plus complexe entre trois pôles, celui, ploutocratique, du capital financier, celui, autocratique, des techno-bureaucrates, s’appuyant sur les nouvelles technologies, celui, autogestionnaire, des biens communs.

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Dans la phase actuelle de la crise, marquée par un déclin inexorable des transports à longue distance, notamment aériens d’au moins un tiers, l’Europe du Sud, de la Grèce au Portugal, est particulièrement impactée. Cela risque d’être particulièrement vrai des îles, et donc de la Corse. Celle-ci n’est sortie depuis un bon demi-siècle d’un retard de développement historique que pour connaître un mal développement, dominé par la spéculation foncière, l’hégémonie du tourisme estival et ses conséquences sur la dégradation de l’environnement, de la biodiversité, des sols et des paysages… Face à l’aggravation de la crise, le rôle du mouvement écologique pris dans son ensemble ne sera pas de sauver les enfants perdus du tout tourisme, mais de favoriser leur reconversion drastique vers des activités de développement durable, non marchandes au moins autant que marchandes.
Pour conduire cette transformation des modes de vie, de production, de transports et de consommation, il semble que l’idée d’une économie identitaire (cf. notre livre de 1997 avec Fl. Antonmarchi, éd. Albiana) soit plus actuelle que jamais. Mieux, elle peut aujourd’hui conduire à innover, en s’affranchissant, bien plus qu’il y a une vingtaine d’années, des logiques marchandes, plus épuisées que jamais. Cette économie identitaire devra s’appuyer sur des relocalisations d’activité, qui perpétuent, actualisent et renouvellent les savoir-faire traditionnels. Elle pourra aussi s’appuyer sur les facteurs pérennes de l’extraordinaire attractivité de la Corse : l’accueil des voyageurs plus que des estivants ; les nouveaux résidents ou semi-résidents, qu’ils soient ou non d’origine insulaire, qui utilisent l’essor évident du télétravail : a-t-on calculé que l’installation d’un seul jeune couple apporte plus qu’une centaine de touristes, avec l’avantage incommensurable d’une activité et d’une consommation régulièrement étalées sur toute l’année ? Nous devons encourager, dans chaque communauté d’agglomération ou de pays, les collectifs de citoyens actifs issus de la
société civile, à mettre en œuvre des stratégies de développement durable qui s’inspirent de ces principes.

 

Domi Taddei        

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