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Jugée trop radicale, Alternatiba Lyon perd ses subventions

 

La préfecture du Rhône a supprimé la subvention d’Alternatiba à Lyon, à qui elle reproche ses actions de désobéissance civile. Une pratique désormais commune pour réprimer les associations écologistes.

Au pain sec et à l’eau. La préfecture du Rhône a supprimé une demande de subvention d’Alternatiba, a révélé Mediapart fin décembre dernier. Cette enveloppe de 3 500 euros devait servir à rénover la cuisine du bar associatif lyonnais du mouvement écologiste.

Sa coupe a été annoncée en mai 2023, lors de la réunion du collège du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA). Selon un compte-rendu que s’est procuré le média d’investigation, la secrétaire générale de la préfecture du Rhône, Vanina Nicoli, a indiqué retirer la demande de subvention d’Alternatiba en raison de sa « position problématique sur la désobéissance civile ».

La haute fonctionnaire aurait fait référence au contrat d’engagement républicain (CER), déclarant que celui-ci implique « le devoir de ne pas porter atteinte à l’ordre public ». Depuis la loi Séparatisme d’août 2021, les associations ont l’obligation de signer le CER. Tout manquement à ses valeurs les expose au refus des subventions accordées. « On l’imaginait cibler des associations catégorisées “islamistes” ou “séparatistes”, mais le CER sert surtout à créer un halo de suspicion autour des associations environnementales », constate Julien Talpin, sociologue au CNRS et membre de l’Observatoire des libertés associatives.

« On ne veut pas se laisser censurer »

Contactée par Reporterre, la préfecture confirme n’avoir « pas souhaité subventionner des actions de désobéissance civile portées par cette structure associative ». Elle fait valoir que « l’obtention d’une subvention n’est pas de droit » et que sur les 593 dossiers déposés, seuls 283 ont été sélectionnés. Pourtant selon Mediapart, la demande d’Alternatiba était appuyée par un avis positif des services de la préfecture.

Alternatiba, Les Amis de la Terre, la CGT ou encore Greenpeace France ont participé à la Marche d’Après, à Lyon, afin de dénoncer le manque d’ambition de la loi Climat, en 2021. © Alternatiba / Michael Augustin

Alternatiba n’a officiellement appris ce refus que fin septembre. À l’époque, « la préfecture nous a indiqué que le dossier ne remplissait pas les conditions d’attribution », se rappelle Justine Cazaux, porte-parole d’Alternatiba Lyon. L’association a d’abord envoyé un recours gracieux à la préfecture pour « s’assurer que le motif ne soit pas discriminatoire ».

Sans réponse au bout de deux mois, Alternatiba déposera un recours au tribunal administratif courant janvier. « Ça ne nous met pas en difficulté financière, mais on ne veut pas se laisser censurer », pointe la militante, qui espère que le recours permettra d’apporter sa pierre pour abroger le CER, « symptôme de la dérive autoritaire du pouvoir en place ».

Le CER systématisé contre les organisations écologistes

Cette coupe est la dernière démonstration d’une stratégie déployée par l’État pour saper les mouvements écologistes. En Corrèze, des associations paysannes se sont vues refuser leurs subventions en raison de leur appartenance supposée à la « mouvance radicale » de l’« ultragauche ».

À Lille, la Maison régionale de l’environnement et des solidarités s’est fait reprocher le prêt d’une salle à des activistes pratiquant la désobéissance civile. Sur le plateau de Millevaches, en Nouvelle-Aquitaine, Le Monde a dévoilé l’existence d’une « liste rouge » d’associations privées de fonds publics, car suspectées d’être proches des Soulèvements de la Terre.

À Poitiers, le préfet de la Vienne a demandé le remboursement d’une subvention versée par la mairie à la branche locale d’Alternatiba. Sa faute : avoir organisé un atelier et un débat sur la désobéissance civile. Face au refus de la ville d’exécuter sa demande, le préfet a saisi le tribunal administratif, qui lui a donné tort. Depuis, les hauts fonctionnaires osent peu utiliser le CER comme justification directe.

« Une volonté assumée de l’État de restreindre les capacités d’interventions politiques du monde associatif »

Ce qui n’empêche pas la menace du contrat d’engagement républicain d’être efficace, puisque le modèle économique des associations repose sur une pluralité de partenaires : collectivités, fondations, dons, etc. Il est donc particulièrement sensible à « l’effet cascade » induit par le retrait d’une subvention, pointe Julien Talpin : « Une des conditions de financement, c’est qu’il y ait des cofinancements. Alors quand un partenaire se retire, d’autres suivent. Une association peut devenir sulfureuse et perdre des soutiens. » Même quand les associations ne disparaissent pas, leurs moyens d’action s’en trouvent diminués.

Ce positionnement de l’État peut dissuader les élus de collectivités modestes d’octroyer des financements ou des salles pour ne pas froisser leur préfet. Certaines organisations font déjà acte d’autocensure. « J’observe que dans les quartiers populaires certains acteurs n’abordent plus les questions de racisme, d’islamophobie ou du conflit israélo-palestinien par crainte de perdre leurs financements, note Julien Talpin. Il y a une volonté assumée de l’État de restreindre les capacités d’interventions politiques du monde associatif. »

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