MEDIA CORSICA
0.1 % de vérité par Jean-François Bernardini
On ne présente plus Jean-François Bernardini, chanteur du groupe devenu mythique, I Muvrini a commencé par chanter des chansons dans un style traditionnel corse (guitare et voix, polyphonies) avant de s'ouvrir progressivement aux musiques du monde et à la variété. Son implication politique est aussi "ancienne" que sa passion du chant, où le père a pu transmettre celle-ci à ses enfants...
Le 11 mai à Riventosa s’est déroulée l’’Assemblée générale d’U Levante. J’ai tenu à y assister. J’ai mieux mesuré la gravité du virus qui nous ronge.
Nous sommes loin de prendre la dimension du « tsunami » qui ravage la Corse et la dévore. Sa logique est radicale. La terre n’est qu’une marchandise. Tout doit devenir piscinable et constructible.
Tant d’efforts sont faits pour occulter et minimiser cette « régression », cette tempête qui avance.
Avec le moteur de l’illégalité, du laisser-faire, du laxisme d’État, et celui de l’imaginaire spéculatif qui gangrène un certain nombre de propriétaires, de promoteurs et de communes, le virus avance. La « communauté de festin » se régale.
A Corsica và male. Prufittemu ne. La Corse và mal. Profitons-en.
Collier d’illégalités
Les nouveaux modes de libre expression immobilière et bétonnière font école avec une arrogance sans limites.
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– Multiples permis de construire délivrés en ESA -espaces stratégiques à fort potentiel agricole – par nature inconstructibles : 14 villas +13 piscines, 60 logements, etc.
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– Gyrobroyage illégal pour obtention de primes agricoles – multiples tortues d’Hermann retrouvées gyrobroyées
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– Permis d’aménager en ERC- espaces remarquables caractéristiques, nécessaires au maintien de l’équilibre biologique – par nature inconstructibles : 22 logements
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– Restaurant sans permis de construire en ERC, en Natura 2000, en arrêté de biotope par nature inconstructible
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– Installation d’un restaurant sans permis, en ERC par nature inconstructibles et en Grand Site
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– Construction en terrain inconstructible : on se permet de construire en se moquant de l‘interdit, et ensuite on crie au scandale. Multiples exemples.
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– Construction d’un hôtel 5 étoiles en zone agricole sans permis de construire
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– Certains maires ne donnent pas les documents demandés, ou alors, trop tard, après les fameux 2 mois
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– Préfet n’appliquant pas une décision de justice pour réouverture d’un sentier du littoral privatisé.
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– Préfet autorisant 4 permis de construire illégaux, en ERC, la veille de son départ
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– Préfets qui ont refusé depuis des années qu’il y ait un site où tout le monde puisse prendre connaissance des permis de construire délivrés, leurs numéros, les parcelles concernées. Cela a été toujours refusé, notamment à la CdC, par les préfets successifs
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– Maire qui peut signer un P.C. illégal, sachant qu’il est « intouchable juridiquement ». Les voyous le savent. Les pressions sur les maires sont monnaie courante.
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– Maire qui peut retirer un PC illégal la veille d’un procès et le redéposer par la suite, ou refuser un PC, mais sans apporter de « vraies raisons » et le tribunal pourra le « valider »
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– Si le maire ne signe pas le PC, le PC illégal devient « tacite » au bout de 2 mois et vous pourrez commencer à construire.
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– Arrêtés de délivrance de permis de construire, par des maires, non transmis au contrôle de légalité de l’État
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– De plus en plus de gens fortunés construisent sans autorisation. Si une administration ou un particulier porte plainte, au gré de multiples « appels » en justice, jusqu’à la cassation, cela prend de nombreuses années. Les bâtiments sont terminés… et exploités. Les exemples sont multiples.
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– Permis de construire illégal délivré par un maire en 1992 pour 90 logements. Procès perdu par le constructeur en 2000, et confirmation de l’annulation par le Conseil d’État. Aujourd’hui l’ensemble des bâtiments est construit et exploité.
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– La loi dite « Macron » ne permet plus d’obtenir la démolition d’une construction ayant obtenu un permis. SAUF si la construction est à moins de 100 m du rivage ou sur une zone très protégée. Les exemples sont multiples.
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– Atteintes au domaine public maritime -DPM- qui est un bien commun – accaparement – appropriation – privatisation – obstruction des accès aux plages – construction de murs – de paillotes – de pontons
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– Interventions lourdes à la pelle mécanique pour “aménager” une plage d’hôtel
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– L’État, gestionnaire de ce DPM, donne des autorisations illégales – AOT – autorisation d’occupation temporaire – incompatibles avec les dispositions du Padduc.
Est-ce l’illégalité qui va réguler notre société ?
Le collier de l’illégalité n’en finit pas. Est-ce l’illégalité qui va réguler notre société ? Est-ce dans cette société-là que nous voulons vivre ?
L’inventaire des infractions est préoccupant. La liste noire est alarmante et bénéficie sans aucun doute de généreuses faiblesses, complicités et confidentialités. Le dysfonctionnement fait office de fonctionnement.
Incapacité, volonté délibérée de laisser faire, ou prime à l’exaspération et à la violence ?
Est-ce que c’est cela que nous voulons ? – Mais c’est bien cela que nous avons.
Qui tient les comptes de ces dérives illégalitaires ?
Qui tient les comptes de la délinquance urbanistique ? Qui répond de cela ? Qui est chargé du contrôle ? Les citoyens sont-ils alertés de cette réalité ? Où, comment, pourquoi se construit ce laxisme coupable ? Y a-t-il une « Cour des comptes » pour la délinquance urbanistique ? La transgression des lois fait-elle partie du projet ? N’est-ce pas la paix sociale pour plusieurs générations qui est en jeu dans ce constat, dans ce combat-là ?
U Levante a du pain sur la planche ? Non, c’est la Corse et c’est la République qui ont du pain sur la planche.
Cela nous concerne-t-il ? N‘y aurait-il que quelques associations à s’indigner de cet état de fait ?
Parole citoyenne
Il suffit pourtant d’un micro-trottoir auprès des citoyens d’Isula Rossa, de Calvi, de Porti-Vechju, d’Ajaccio, de Lucciana, de Bunifaziu, de Fulelli… pour constater combien les citoyens de cette île sont silencieusement scandalisés, en constatant, mais surtout en vivant la dégradation de leur cadre de vie par une urbanisation anarchique et débridée qui va de pair avec une sur-inflation du m².
Il suffit d’un micro-trottoir auprès de nos touristes visiteurs, pour saisir combien ils constatent, eux aussi, cette dégradation, cette frénésie bétonnière et immobilière, légale ou illégale, qui est en train de couper la branche sur laquelle nous sommes tous assis, tourisme inclus.
Ainsi, la vox populi donne un sacré coup de pied à la côte d’« intégrité » de ces pratiques. Un « cancer de béton » » que l’on appelle progrès, ronge le tissu naturel de cette île.
Légalité sans éthique
Un collier d’illégalités donne la main à une légalité « sans éthique ». Des milliers d’hectares sont détournés de leur vocation agricole et vivrière.
Partout dans l’île, chacun paie la redevance de cette dégradation. Elle se paie en perte de qualité de vie, qualité de l’air, droit à l’espace, à la vue, à l’accès au sentier du littoral et aux plages, mais aussi en perte de confiance dans la loi et l’État de droit.
La parole citoyenne confirme donc ce qui fonde l’action d’U Levante, d’ABCDE, du GARDE, de la coordination Terra, d’APLAPDL, de Sentinella, d’Aria linda … au sein d’une société harcelée par le mépris de la loi, et par les extravagances bétonnières. Cette dépossession-là pèse et pèsera lourd dans son irréversibilité. Certains appellent peut-être cela « la loi corse ». Ils l’appliquent déjà.
Dans ce sentiment d’impuissance, dans l’expérience d’être sans défense face à ce harcèlement, les citoyens restent chez eux. Pour le moment. Ils ruminent leur colère et leurs frustrations. Ce n’est plus toi qui quittes le pays, c’est le pays qui te quitte. C’est la nature même d ‘une société qui est saccagée. C’est un « rapport éthique » à la terre et au bien commun qui est abusé. C’est l’État de droit qui abandonne.
Au coeur de multiples trahisons, celle de nombre d’élus, des institutions, de l’État, qui devraient tous être garants du bien commun, du respect de nos droits, du contrôle de l’application des lois et autres décisions de justice, le peuple assommé par cette charge se croit démuni.
La ruse la plus réussie est de laisser apparaître les associations environnementales comme les persécuteurs, les démolisseurs, les méchants qui attaqueraient les « bâtisseurs » de la Corse.
Ce qui est grave dans ces constats, c’est qu’il ne s’agit plus d’exceptions négligeables. Il s’agit d’une « occupation » hostile, qui risque de devenir la règle généralisée sur tout le territoire. Une occupation de notre lieu de vie, par le profit, le béton, et le mépris de la loi. « Légalité sans éthique »et illégalité sont deux vases communicants. L’une contamine l’autre. L’une alimente l’autre.
Oui, nous pouvons beaucoup mieux. Allons-nous nous contenter de cette misère, de ce triomphe des harceleurs qui insécurisent l’avenir ? La Corse ne vit pas du béton et de l’emprise immobilière. C’est le béton et l’emprise immobilière qui vivent de la Corse.
A qui cela profite-t-il ?
Voulons-nous gagner ou perdre ?
U Levante publiait récemment le constat alarmant sur les balbuzards de la réserve de Scandola. On dit en Allemagne ce que dit Grossu Minutu: «Quandu u beccu si face giardinaru, ci vole à inchietàsi pè u giardinu …Quand c’est le bouc qui devient jardinier et établit les règles, il faut s’inquiéter pour le jardin… »
D’autre part, ce mois de mai 2024, la revue scientifique internationale « Conservation letters » a publié une étude coordonnée par les chercheurs du CNRS. Le constat est accablant.
En effet, la mer Méditerranée est la mer la plus polluée du monde. La France annonce que ses aires marines en Méditerranée sont protégées à 60 %. En réalité, en Méditerranée, les aires marines, disent les scientifiques, ne bénéficient de la mise en œuvre réelle d’une protection – tenez-vous bien – qu’à hauteur de 0,1 % – au lieu des 60 % qui sont annoncés.
Les scientifiques alertent les États. Ils leur demandent plus de cohérence et surtout plus d’honnêteté.
De fait, nos institutions chargées de la vérité nous livrent des mensonges. Pas étonnant que les lanceurs d’alerte soient combattus. Ils insécurisent le désordre public, les mensonges publics. Ils les dérangent, les rendent visibles.
O, 1 % : c’est exactement le pourcentage de la population insulaire qui est adhérente aux associations environnementales aujourd’hui.
Est-ce là le chiffre de nos impuissances à faire rempart face à ce qui nous tue ?
Est-ce là le chiffre de nos impuissances à faire rempart face à ce qui nous ment ? Entre « bombes ou béton », n’y aurait-il qu’impuissance ou résignation ?
Ce que souhaitent ardemment les associations c‘est une plus juste « régulation » de notre société harcelée par l’avidité. Cette régulation qui est leur combat, elle est d’abord éthique avant d’être coercitive. Cette régulation, elle est le combat de tous. Les associations nous invitent à construire cette régulation.
Elles ont bien raison de réveiller notre « PADDUC intérieur ». C’est cela leur « défaut ». En vérité, c’est leur force, et leur noblesse.
Que deviennent les communs quand l’éthique régresse ? Que devient la loi quand l’éthique s’absente ?
Les associations peuvent-elles gagner ce combat sans les citoyens ? La réponse coule de source : NON.
Et nous, voulons-nous gagner ou perdre ?
Jean-François Bernardini – Bastia, u 27 di maghju 2024