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Bernanos chantait...

Espérer, c'est désirer sans jouir, sans savoir et sans pouvoir."

Bernanos chantait « l'espérance violente des matins ». Dans cet environnement mondial il m'a semblé intéressant de partager cet articles, Péguy parlait de la « petite fille espérance », qui « entraîne tout ». Spinoza, au contraire, qualifiait l'espoir de « passion triste » et affirmait qu'il se conjuguait avec la crainte. S'inspirant du philosophe juif et des stoïciens, André Comte-Sponville, dans La Sagesse des modernes, explique : « On n'espère que ce qu'on n'a pas : tant que nous espérons le bonheur, c'est donc que nous ne sommes pas heureux. Et quand nous le sommes, que nous reste-t-il à espérer ? La continuation du bonheur ? Mais il n'y a pas d'espoir sans crainte : vouloir que le bonheur dure, c'est craindre qu'il ne cesse, et le voilà déjà qui s'abolit dans l'angoisse de sa perte... »

Dans Le Bonheur, désespérément, Comte-Sponville définit l'espérance comme « un désir qui porte sur ce qu'on n'a pas (un manque), dont on ignore s'il est ou s'il sera satisfait, enfin dont la satisfaction ne dépend pas de nous : espérer, c'est désirer sans jouir, sans savoir, sans pouvoir ». Vaudraient donc mieux, selon lui, le plaisir (« désirer ce dont on jouit »), la connaissance (« désirer ce qu'on sait ») et l'action (« désirer ce qu'on peut »). Le courage et la volonté aussi, plutôt que l'espérance.

Y a-t-il vraiment contradiction, toutefois, entre l'espérance et la volonté ou l'action ? Dans son numéro de juillet-août 2007, Relations, la revue de la gauche chrétienne québécoise, s'attaque à cette question. « L'espérance, demande Jean-Claude Ravet, est-elle une formidable illusion qui nous détourne de la réalité ? Un baume qui nous aveugle ? » Les maîtres et les repus, répond-il, « n'ont pas à espérer. Ils jouissent sans souci du présent. L'espérance est du côté des pauvres ».

Elle n'est pas, pour autant, un opium du peuple qui attend béatement un salut à venir. Elle est, au contraire, ce qui nourrit le dynamisme d'une action libératrice : « Peut-on vraiment agir sans signer par là une promesse qui engage l'avenir, sans croire au pouvoir d'inaugurer quelque chose de nouveau et de l'accroître ? » Aussi, contre la laideur et l'injustice qui se drapent « du voile du destin », il faut « oser l'espérance », clame le rédacteur en chef de Relations en ouverture de ce dossier.

L'espoir au présent

La promesse du progrès, pourtant, « s'est brisée », remarque le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag. Face à cette crise, peut-on encore espérer ? « Commencer par désespérer, rétorque-t-il, ne s'oppose pas à l'espoir ; au contraire, cela le rend possible. » Reconnaître la gravité de la situation présente est donc une exigence de lucidité, tout comme refuser de s'enfermer dans le mirage d'un avenir radieux. Le communisme, par exemple, a instrumentalisé l'espoir en terrorisant le présent au nom de lendemains qui chanteraient. L'espoir libérateur, en revanche, « doit se conjuguer au présent », il faut « être centré sur l'agir » et ne pas s'illusionner au sujet de la lutte finale. « Si l'espoir signifie qu'il n'y aura plus besoin de lutter, alors il est négatif, écrit Benasayag. La justice, la création, la beauté, l'amour sont des actes purs permanents. »

Dans une perspective chrétienne, l'espérance a longtemps concerné essentiellement les « fins dernières ». La théologienne Marie Gratton ne condamne pas cette préoccupation, mais elle salue l'élargissement du champ de l'espérance dans l'univers chrétien : « Espérer sauver son âme », c'est bien. Toutefois, se sentir responsable de la réussite de toute la création, elle qui "gémit jusqu'à ce jour en travail d'enfantement" [Romains 8, 22] et qu'il faut mener à son plein accomplissement, voilà qui élargit les perspectives et requiert une surdose d'espérance ! » Elle salue, à ce titre, le prophétisme des féministes chrétiennes, habitées par l'espérance d'une émancipation vraiment universelle. Vertu « qu'on ne peut pas pratiquer en levant les yeux au ciel tout en baissant les bras », l'espérance nous donne de ne pas craindre le silence de Dieu en nous permettant de le recevoir comme un défi lancé aux humains de se responsabiliser dans le monde.

Le cinéaste non croyant — « je ne dis pas athée », précise-t-il — Bernard Émond, dans une entrevue où il dit de belles et pertinentes choses, affirme la nécessité d'une ouverture à la transcendance pour entretenir le combat contre « l'oubli de la dignité humaine » : « Or, que l'on soit croyant ou non, si l'on ne reconnaît pas qu'il y a quelque chose de plus grand que nous, on est perdu ! Pour un non-croyant, cela peut être un idéal de justice, un appel à la solidarité, la conviction que l'histoire et la vie ont un sens, bref qu'il y a quelque chose qui est "digne de foi" et pour laquelle [sic] il vaut la peine de se battre. »

Sur un ton moins grave que celui de ses collègues, Michel Venne, directeur de l'Institut du Nouveau Monde, témoigne de ses raisons d'espérer dans le présent et l'avenir du Québec. Il entend, écrit-il, « le bruit sourd d'une forêt qui pousse » dans tous les champs d'activité. Sans forme particulière, libéré de l'attente du « grand soir », son espoir tient dans « la certitude qu'il y a plusieurs mondes possibles et que des gens agissent pour les faire apparaître ». Espérer, redit-il à son tour, ne veut pas dire attendre, mais agir de façon responsable.

La résurrection comme slogan

Dans un texte de ce dossier, Jean-Claude Ravet parle de l'Apocalypse en ces termes : « Ce n'est pas un livre de vérités qu'il faudrait décrypter pour connaître l'avenir. C'est une fiction qui a maintenu debout et en lutte des humiliés de la terre contre les maîtres du temps et de l'espace, ceux-là qui ne cessent, en tout temps et en tout lieu, de dire qu'il n'y a pas de choix, qu'ainsi va le monde — et que la multitude doit périr plutôt que cesse leur manière de vivre. »

Pour l'avenir du monde. La résurrection revisitée, un exigeant essai du bibliste André Myre, s'inscrit dans cet esprit. Audacieux plaidoyer en faveur d'une actualisation de la parole biblique, cet ouvrage affirme que « la foi n'exige pas l'adoption de données culturelles à jamais révolues, elle se révèle plutôt comme dynamisme de vie qui oriente l'existence ». Sur cette base, Myre explore de très savante façon le thème de la résurrection pour en tirer des conclusions qui feront frémir les traditionalistes.

Le mot « résurrection », écrit-il, est « le slogan chrétien par excellence ». Il ne dit pas que le « désir de survie », mais la nécessité de « mourir au Mal en vue de vivre ultimement ». Avec des accents de théologien de la libération, Myre ajoute que « l'important est que continue à se manifester la résistance sociale, culturelle, religieuse, politique, qui est la manifestation première de la foi fondamentale en la résurrection ». Original et substantiel, cet essai bouleverse toutes les idées reçues concernant ce dogme.

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Nous remercions le professeur Sadek SELLAM de nous avoir honoré de sa correspondance 

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