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Le maire de New-York et les chiffres arabes

L’islamophobie en chiffres : quand un troll sur les « chiffres arabes » révèle l’ampleur du racisme anti-musulman aux États-Unis
Rarement un simple tweet aura aussi bien mis à nu les mécanismes de la haine ordinaire. Le 19 novembre 2025, Brian Krassenstein, militant juif américain connu pour ses provocations anti-Trump, publie ce message :
Zohran Mamdani va demander à TOUS les élèves du primaire new-yorkais d’apprendre les chiffres arabes.
                                     En tant que Juif américain, je soutiens cela à 100 %.

En quelques heures, le post explose : plus de 19 millions de vues pour le tweet original, des dizaines de millions supplémentaires via les reposts, notamment celui du compte officiel @Polymarket qui le relaie sans aucune mention de satire. Le résultat ? Une vague d’indignation massive, principalement venue de la droite MAGA, qui y voit la preuve d’une « islamisation » rampante de l’Amérique.
Sauf que les « chiffres arabes » dont il est question sont tout simplement les 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 que le monde entier utilise depuis le Moyen Âge.


Ce qui aurait pu rester une blague de comptoir est devenu un phénomène mondial, révélant à quel point l’islamophobie reste profondément ancrée, même quand elle repose sur une ignorance crasse.

Qui est Zohran Mamdani, la cible parfaite du troll ?
Zohran Kwame Mamdani, 34 ans, est né à Kampala (Ouganda) d’un père intellectuel marxiste ougandais et d’une mère indienne. Arrivé enfant à New York, il est élu à l’Assemblée de l’État en 2020 sous l’étiquette Democratic Socialists of America. Défenseur acharné du logement abordable, des transports gratuits, de la cause palestinienne et du Green New Deal, il remporte la primaire démocrate pour la mairie de New York en juin 2025 avec 52 %, puis l’élection générale le 4 novembre 2025 avec 55 % des voix – une victoire historique pour un musulman et un socialiste dans la plus grande ville des États-Unis.
Depuis, il est la cible privilégiée des milieux d’extrême droite : rumeurs d’épiceries municipales « halal only », accusations d’antisémitisme recyclées, et maintenant cette prétendue volonté d’imposer les « chiffres arabes ». Chaque attaque vise à le présenter comme un corps étranger dans le paysage politique américain.

Chronologie d’un rage bait devenu viral

19 novembre, 20 h 31 GMT : tweet de Brian Krassenstein.
Quelques heures plus tard : le compte @Polymarket (1,4 million d’abonnés) le reposte comme une information sérieuse.
Dans la foulée : des figures d’extrême droite s’enflamment.
Laura Loomer (1,3 million d’abonnés) : « Les chiffres arabes à l’école ? Prochaine étape : la charia dans les manuels de maths. »
Derrick Evans (ex-élu condamné pour le 6 janvier) : « C’est la preuve que Mamdani veut islamiser l’Amérique dès l’école primaire. »
Ian Miles Cheong : « Ils commencent par les chiffres, ils finiront par la prière cinq fois par jour dans les cours de récréation. »
@LibsofTikTok, @Catturd et des dizaines d’autres comptes MAGA relaient la « nouvelle ».
20-21 novembre : les fact-checks tombent en rafale (Snopes, Newsweek, Hindustan Times, Lead Stories, The National…) : aucune trace d’une telle proposition, c’est une satire évidente.

22 novembre : Zohran Mamdani réagit avec humour :
« Apparemment j’ai proposé d’enseigner les chiffres arabes à l’école.
Bonne nouvelle : on les enseigne déjà depuis le XIIIe siècle.
Mauvaise nouvelle : certains d’entre vous ont besoin de cours de rattrapage en histoire… et en maths. »
(8,2 millions de vues)

25 novembre : le cumul des impressions sur les principaux posts dépasse les 52 millions.
Les réactions les plus édifiantes
@ConcernedDad1776 : « L’Amérique a une langue officielle : l’anglais. Nos écoles doivent enseigner l’anglais et les chiffres AMÉRICAINS. Point final. »
Une utilisatrice : « Si on commence par les chiffres arabes, pourquoi pas les chiffres thaïlandais ou mayas ? Ça n’a rien à faire dans une école américaine. »
@MAGA_Elvis : « On a déjà du mal à apprendre à lire à nos gosses et maintenant on va leur imposer des symboles islamiques ? La vache ! »
Un autre : « Qu’ils aillent apprendre ça au Proche-Orient s’ils veulent, pas ici. »
Krassenstein répond inlassablement avec un calme olympien :
« Pourquoi apprendre les chiffres arabes ailleurs alors qu’on peut les apprendre ici ? »
« Parce que c’est important pour leur éducation. »


L’histoire vraie des « chiffres arabes »
Le système que nous utilisons tous les jours n’est pas « arabe » au sens ethnique, mais hindou-arabe :
Origine : Inde, entre le Ier et le IVe siècle (système décimal positionnel).
Le zéro : formalisé par le mathématicien indien Brahmagupta vers 628.
Transmission : au VIIIe-IXe siècle, les savants du monde musulman (notamment Al-Khwārizmī, dont le nom a donné « algorithme ») le perfectionnent et le diffusent.
Arrivée en Europe : Xe siècle via Al-Andalus, popularisation par Fibonacci en 1202 dans Liber Abaci.
Triomphe définitif : XVe siècle avec l’imprimerie.
Sans ce système, pas d’algèbre, pas de calculs scientifiques modernes, pas d’informatique. Ironie suprême : ceux qui hurlent contre les « chiffres arabes » les utilisent à chaque tweet.
Le précédent de 2019 : déjà 56 % d’Américains contre
En mai 2019, le sondeur CivicScience pose la question à 3 624 personnes :
« Les écoles américaines devraient-elles enseigner les chiffres arabes dans le cadre de leur programme ? »
Résultats :
56 % répondent non
29 % oui
15 % sans opinion
Les républicains sont 65 % à refuser. Le PDG de CivicScience commente : « Le témoignage le plus triste et le plus drôle de bigoterie que nous ayons vu dans nos données. »
Le meme « LVI % des Américains » (56 en chiffres romains) refait surface immédiatement en 2025.

Pourquoi ce troll a marché à ce point en 2025
1. Contexte post-électoral : un musulman socialiste vient de devenir maire de New York.
2. Algorithme de X qui récompense la colère et la peur.
3. Islamophobie structurelle : le simple mot « arabe » suffit à déclencher des réflexes xénophobes chez une partie de la population.
4. Fatigue informationnelle : des millions scrollent sans lire les réponses ou vérifier.

Les contre-trolls qui ont fait mouche :
« Prochaine étape : interdire le calendrier grégorien, invention catholique romaine. »
« Attendez le lycée : on leur enseignera les méthodes de l’organisation terroriste Al-Gebra. »
« Moi j’exige qu’on revienne aux chiffres romains. MCMXXV c’est plus classe que 2025. »
Un compte indien poste les vrais chiffres devanagari : « Voilà les chiffres indiens que vous devriez refuser aussi, bande d’ignares. »
Charlotte Clymer, militante trans et vétérane, publie un thread pédagogique qui dépasse le million de vues :
« Les gens qui hurlent contre les “chiffres arabes” les utilisent littéralement pour écrire leurs tweets racistes. C’est un parfait exemple de la stupidité du racisme. »

Le rage bait parfait, la haine dévoilée
Brian Krassenstein résume lui-même l’opération dans un commentaire liké 120 000 fois :
« D’habitude les gens détestent mes tweets. Mais faire hurler de rage des gens qui découvrent que les chiffres qu’ils utilisent tous les jours sont “arabes” ? C’est la plus belle réussite de ma carrière. »
Ce qui a commencé comme une vieille blague a révélé, en direct et devant des dizaines de millions de personnes, la profondeur de l’islamophobie ordinaire aux États-Unis. Une partie non négligeable de la population est prête à s’indigner, à menacer, à insulter… sur la base d’une information totalement fausse, dès lors qu’elle concerne un élu musulman.
Et pendant ce temps, les chiffres hindou-arabes – ces « traîtres » – continuent tranquillement d’apparaître sur chaque écran, chaque ticket de caisse et chaque panneau d’affichage de la planète.

Sources : Snopes, Hindustan Times, News18, Times of India, Times Now, Newsweek, The National, Yahoo News.
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