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Selon des analystes, la ruée vers l’hydrogène vert en Europe risque d’entraîner une « cannibalisation » des ressources en Afrique...
Les plans de l’Europe en matière d’hydrogène vert ont déclenché une course entre les pays en développement, en particulier en Afrique, pour devenir les premiers fournisseurs de l’UE, ce qui risque de mettre en péril les besoins énergétiques de leurs propres populations. Le média partenaire d’EURACTIV Climate Home News fait le point.
L’UE considère l’hydrogène fabriqué à partir d’énergie renouvelable — l’« hydrogène vert » — comme un moyen efficace de réduire ses émissions, en particulier dans les industries difficiles à décarboner telles que l’aviation et le transport terrestre lourd.
Étant donné que l’industrie européenne de l’hydrogène n’en est qu’à ses débuts, les espoirs d’atteindre ses objectifs à court terme reposent en grande partie sur la production à l’étranger. Les pays tiers, surtout en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne, ont donc été attirés par les opportunités d’investissement et de création d’emplois qu’offre le secteur, ont expliqué des analystes.
Cependant, ces mêmes experts ont également fait remarquer que cet enthousiasme présentait des risques importants. En effet, les incitations intégrées dans les règlementations de l’UE signifient que l’augmentation massive des exportations d’hydrogène vert pourrait absorber la majeure partie de l’électricité renouvelable dans les pays en développement, au détriment des populations locales.
Ce serait un problème pour des pays comme la Namibie — l’un des principaux partenaires de l’UE en matière d’hydrogène — où à peine plus de la moitié de la population a accès à l’électricité.
Selon Godrje Rustomjee, analyste à l’African Climate Foundation, les pays doivent trouver le bon compromis entre les besoins nationaux et le potentiel d’exportation. Sinon, le risque est que l’hydrogène vert se transforme en « un énième projet néocolonial ».
« Il y a une réelle possibilité que des pays étrangers viennent avec des investissements directs, mais que tous les bénéfices et la valeur ajoutée soient extraits et envoyés en Europe. »
Marta Lovisolo, analyste chez Bellona, une ONG internationale de protection de l’environnement, estime que le risque que les pays en développement détournent des ressources vers la production pour l’exportation est « extrêmement élevé ».
« L’hydrogène vert est quelque chose que l’Europe veut désespérément et que les pays en développement pourraient potentiellement produire en masse pour un marché lucratif », explique-t-elle. « Comme cela s’est produit avec les combustibles fossiles, les pays semblent prêts à tout miser sur l’exportation sans bénéficier des garanties nécessaires. »
Miser gros sur l’hydrogène
Bien qu’il s’agisse d’une source d’énergie quasi inexistante aujourd’hui, l’hydrogène vert est devenu une pierre angulaire des plans de décarbonation de l’UE.
L’hydrogène vert est principalement produit par électrolyse de l’eau, processus au terme duquel l’eau est séparée en dioxygène (O2) et dihydrogène (H2), en utilisant un électrolyseur alimenté par de l’électricité produite à partir de sources renouvelables.
L’Union européenne s’est fixé pour objectif d’atteindre une production nationale annuelle de 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable d’ici 2030 et d’en importer la même quantité. Il s’agit d’un objectif ambitieux si l’on considère que l’année dernière, la capacité de production mondiale d’hydrogène vert s’élevait à 109 kilotonnes, soit une infime partie de ce que l’UE souhaite atteindre.
Actuellement, la majeure partie de l’hydrogène est produite à partir de combustibles fossiles. Environ trois quarts sont dérivés du méthane et un quart du charbon. L’hydrogène vert est plus coûteux à produire et représente moins de 1 % de la production mondiale totale.
Pour nourrir son ambition, l’UE investit des milliards d’euros dans le secteur. Outre les investissements dans le renforcement des capacités nationales, des fonds sont consacrés à des partenariats avec les futurs pays exportateurs.
L’UE a signé des accords avec une série de pays tiers, dont l’Égypte, le Kazakhstan, le Maroc et la Namibie. Ces partenariats sont présentés comme des accords gagnant-gagnant.
Les eurodéputés rejettent une tentative allemande d’assouplir les règles sur l’hydrogène vert
Mardi (28 mars), les euro parlementaires réunis en commission de l’Énergie (ITRE) ont rejeté à une très forte majorité la motion de Markus Pieper jugeant que les règles définissants la production d’hydrogène renouvelable étaient trop « restrictives ».
Règles d’exemption
Récemment, la Commission a également défini les règles relatives à l’hydrogène renouvelable. Parmi les différentes dispositions, on trouve un critère de développement de l’électricité renouvelable appelé « additionnalité ».
À l’avenir, les producteurs d’hydrogène devront s’assurer que seule une nouvelle capacité de production d’électricité renouvelable est utilisée pour la production d’hydrogène vert. Il s’agit de s’assurer que la production d’hydrogène ne prive pas le réseau d’énergie renouvelable existante, ce qui pourrait accroître la dépendance à l’égard des combustibles fossiles dans d’autres régions.
L’additionnalité peut être obtenue soit en connectant directement un parc solaire ou éolien à une installation de production d’hydrogène, soit en concluant des accords d’achat avec des producteurs d’énergie propre.
Les législateurs européens ont toutefois inclus une clause de mise en œuvre progressive afin de stimuler le secteur dans l’espoir d’atteindre les objectifs fixés pour 2030. Toute installation d’hydrogène vert qui commence à produire avant 2028 sera exemptée des règles d’additionnalité pendant les dix années suivantes, soit jusqu’en 2038.
Cela signifie que les projets développés avant cette date pourront utiliser des capacités déjà installées, par exemple en prélevant de l’énergie propre directement sur le réseau.
Les analystes estiment que ces règles ont déclenché une course entre les pays exportateurs pour respecter l’échéance de 2028. La Namibie, par exemple, espère commencer à exporter de l’hydrogène d’origine renouvelable en 2026, mais les analystes estiment que cet objectif sera très difficile à atteindre.
Risque de « cannibalisation »
Maria Pastukhova, conseillère politique principale chez E3G, un groupe de réflexion sur le changement climatique, explique que les règles permettent aux projets d’hydrogène de « cannibaliser » l’infrastructure locale existante à des fins de production pour l’exportation.
« Pour de nombreux pays, en particulier en Afrique, cette énergie est nécessaire à domicile, où les réseaux doivent être décarbonés et où les citoyens locaux n’ont pas accès à l’électricité », a-t-elle ajouté.
Seuls 56 % des Namibiens avaient accès à l’électricité en 2022. Le pays importe 60 à 70 % de sa demande en électricité, dont la majeure partie provient de sources de combustibles fossiles.
Le pays d’Afrique australe, en particulier, tente de devenir le premier centre d’exportation d’hydrogène vert d’Afrique, mais il est confronté à un taux de chômage élevé et à l’une des économies les plus inégales du monde, selon la Banque mondiale.
Le discours de la Namibie
Le président namibien, Hage Geingob, considère pour sa part l’hydrogène d’origine renouvelable comme un « moteur de croissance » qui fera du pays une économie industrialisée et créera un grand nombre d’emplois.
« Grâce à nos efforts nationaux en matière d’hydrogène vert, la Namibie reste bien placée pour devenir un fournisseur majeur d’énergie propre et verte dans le monde », a-t-il déclaré lors de la Cop27.
En 2021, le gouvernement namibien a commencé à présenter sa proposition aux dirigeants européens, les attirant avec la promesse de fournir jusqu’à trois millions de tonnes d’hydrogène renouvelable chaque année.
L’Allemagne a été la première à répondre aux appels et s’est rapidement associée au pays africain. Une coentreprise privée allemande travaille actuellement avec le gouvernement namibien pour développer un projet d’hydrogène d’origine renouvelable d’une valeur de 9,4 milliards de dollars. L’infrastructure colossale devrait occuper 4 000 km2 de terrain (environ quatre fois la ville de Berlin) dans le parc national de Tsau Khaeb.
L’objectif est de commencer à produire de l’hydrogène d’ici la fin de l’année 2026.
Renouvelables : l’Afrique deviendra-t-elle le plus important partenaire de l’UE ?
L’Afrique pourrait bien devenir le partenaire le plus important de l’Europe en matière d’énergies renouvelables. C’est ce qu’a confié le commissaire européen à l’Action pour le climat, Frans Timmermans, à EURACTIV lors d’un entretien.
Des subventions attrayantes
Suivant l’exemple de Berlin, la Commission européenne a signé un protocole d’accord avec la Namibie sur l’hydrogène renouvelable, ce qu’elle a également fait avec au moins trois autres pays en développement
L’accord vise à faciliter « la production et l’exportation d’hydrogène renouvelable », tout en offrant à la Namibie « la possibilité d’atteindre ses propres objectifs en matière de sécurité énergétique et de décarbonation ».
Dans le même temps, la Banque européenne d’investissement (BEI) s’est engagée à accorder à la Namibie un prêt d’un montant maximum de 500 millions d’euros pour financer des investissements dans l’hydrogène vert et les énergies renouvelables. Le président de la BEI a déclaré que « le développement d’une économie verte fondée sur l’hydrogène rapprochera la Namibie et l’Europe en tant que partenaires ».
Un protocole d’accord similaire a été signé en marge de la COP27 entre l’Union européenne et l’Égypte. Ce partenariat vise à « contribuer aux futurs projets de l’UE en matière d’importation d’hydrogène renouvelable », tout en accélérant « la transition et la décarbonisation du secteur énergétique égyptien ».
L’accord ne contient pas encore d’engagement contraignant, mais il devrait encourager les investissements dans les infrastructures et faciliter l’accès aux options de financement.
Lors de la présentation de l’accord, le vice-président de la Commission européenne a déclaré que l’Égypte était « idéalement placée » pour transporter de l’hydrogène vert vers l’Europe. Il a ajouté que le pays bénéficie d’un « potentiel illimité en matière d’énergie solaire et éolienne », qui va au-delà des besoins locaux en électricité et peut donc également être utilisée pour l’hydrogène vert.
Malgré ce potentiel, le secteur énergétique du pays est encore largement dominé par les combustibles fossiles, avec seulement 6 % de l’approvisionnement provenant des énergies renouvelables.
Marta Lovisolo, de l’ONG Bellona, estime que les accords sont « pleins de belles paroles, mais qu’ils ne comportent aucune garantie juridique » pour éviter que les intérêts européens ne priment sur ceux des populations locales.
Elle ajoute que les pays en développement sont particulièrement attirés par l’Union européenne, qui a indiqué qu’elle subventionnerait les primes importantes nécessaires à la production d’hydrogène vert.
Plus d’argent à venir...
Bruxelles travaille à l’élaboration d’un système de subventions destiné à faire baisser le prix de l’hydrogène pour les acheteurs. Les primes vertes couvriraient l’écart de coût entre l’hydrogène renouvelable produit à l’étranger et les combustibles fossiles qu’il remplacerait.
L’enveloppe financière devrait être importante. La prime verte pour atteindre les objectifs de 2030 pour l’hydrogène pourrait s’élever à 115 milliards d’euros au total.
Pour Godrje Rustomjee, de l’African Climate Foundation, les incitations financières sont tout simplement trop intéressantes pour que les pays en développement les ignorent. « D’une part, ils pourraient utiliser les énergies renouvelables uniquement pour la consommation intérieure, mais cela pourrait s’avérer extrêmement coûteux », explique-t-il, « d’autre part, la nature de ces accords d’exportation pourrait doubler l’économie d’un pays ».
La clé, selon lui, est de trouver le bon compromis et de garantir des garde-fous dans les accords avec les riches importateurs.
Selon lui, ces garanties devraient inclure des dispositions relatives à la fourniture d’électricité locale et des incitants, tels que la localisation d’activités manufacturières dans le pays.
Cet article a été publié à l’origine sur Climate Home News