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Anne Nivat, Reporter de guerre, Prix Albert-Londres en 2000, notre consœur est devenue l'amie d'Yvan Colonna au fil de leurs nombreuses rencontres en prison où elle avait obtenu un permis de visite.

 

Très affectée par sa mort, elle témoigne, pour Settimana, sur l'homme auquel elle rend un vibrant hommage...

Quand et comment avez-vous fait connaissance avec Yvan Colonna ?

Tout a commencé par une lettre qu'il m'avait envoyée, en 2003, au début de sa détention. Il y avait écrit tout son intérêt pour mon livre Chienne de guerre*, un livre dans lequel je raconte la vie des combattants indépendantistes tchétchènes, le drame de la population civile, des réfugiés, les bombardements russes, etc. Je n'avais pas répondu à cette lettre, parce que je n'étais pas en France, j'habitais encore en Russie. Cette lettre m'avait quand même frappé, je trouvais quand même incroyable le fait que cet homme m'écrive. Je me suis dit : « Il faut que je lui réponde », mais les années ont passé, et je ne l'ai pas fait. Des années après, je me trouve en Corse pour les besoins d'un autre livre, Dans quelle France on vit**, publié au moment des présidentielles de 2017. Je rencontre, à cette occasion, des gens qui me parlent d'Yvan Colonna. J'évoque sa lettre, le fait que je n'y avais jamais répondu, et quelqu'un m'a dit : « Pourquoi tu ne le ferais pas maintenant ? » Voilà comment j'ai fini par répondre, en 2016, à une lettre de 2003. De là, a commencé une relation épistolaire, très dense, entre lui et moi. Pendant quelques mois. Il a fini par m'écrire : « Viens me voir, demande un permis de visite. »

Ce que vous avez fait...

La première fois que je l'ai rencontré, il venait d'arriver à Arles. À partir de là, je suis allé le voir de très nombreuses fois, pour des rencontres qui duraient entre 3 et 4 heures.

Quel été votre ressenti après les premiers échanges ?

Je n'étais pas là dans l'attente d'un ressenti, encore moins avec un a priori. L'affaire qui le concernait, je ne la connaissais que vaguement. J'étais occupée à tout autre chose. À couvrir la guerre en Tchétchénie parce que j'habitais en Russie à l'époque. Je vivais les bombes russes comme ce qui se passe en Ukraine aujourd'hui. J'ai été sous les bombes de l'alliance occidentale internationale en Irak, en Afghanistan aussi. Ma vie, c'était ça pendant des années, pas Yvan Colonna, ni d'ailleurs ce qui se passait en France. C'est justement ça qui a plu à Yvan, c'est de ça dont on a parlé. Le courant est très vite passé entre nous, ce qui n'était pas évident. Vous savez, quand vous avez des entretiens aussi longs avec quelqu'un que vous ne connaissez pas, rien ne garantit que ça va marcher. Il faut avoir des choses à dire, mais il avait, avant tout, une soif inextinguible de mes récits sur la guerre. Au-delà, notre rencontre, c'est aussi l'histoire de deux personnalités qui se sont plu, au point que nous sommes devenus amis. Très amis. Il le fallait forcément pour passer autant de temps ensemble dans un univers comme celui de la prison.

 

Au point de parler d'autre chose ?

De tout, y compris de la situation en France. De sa situation, de la mienne, de la politique en France.

Nos échanges étaient toujours des discussions à bâtons rompus. Quand je quittais la prison après trois heures de parloir, je récupérais ma voiture sur le parking avec l'impression d'avoir discuté à une terrasse de café avec un copain. Un peu comme s'il était libre. Yvan mettait un point d'honneur à oublier le fait qu'il était en prison.

Vous êtes devenu amie avec un homme que très peu de gens connaissaient, malgré la médiatisation dont il a fait l'objet.

 

Que diriez-vous si vous deviez le décrire ?

Je suis très pudique vis-à-vis d'Yvan. Si j'ai fini par parler de ce qui nous liait, c'est uniquement parce qu'il a été sauvagement agressé. Sans ce drame, je n'aurais jamais rendu publique notre amitié. Le décrire ?...

Un homme justement pudique lui aussi, très enjoué, avec une immense force intérieure, un immense élan vers la vie, vers l'autre. Yvan s'est intéressé aux autres en prison, il n'avait plus que ça à faire. Je ne vous donnerai pas de détails, mais il m'a énormément parlé de codétenus, de ses rencontres, de ses discussions avec d'autres, sur l'Islam notamment. Je tiens à dire à ce sujet qu'Yvan Colonna n'a jamais pu blasphémer sur l'Islam. Il s'agit d'un mensonge éhonté de son agresseur. Yvan avait un grand respect pour toutes les religions, la sienne et les autres, avec une grande ouverture d'esprit. C'est d'ailleurs en prison, auprès de certains détenus, qu'il a pu avoir un intérêt et acquérir des connaissances sur l'Islam. Partout où il est passé, dans l'univers carcéral, Yvan avait une aura. Il était quelqu'un qui comptait, y compris pour les détenus musulmans.

 

À quand remonte votre dernière rencontre ?

Il y a un an, mais nous nous sommes écrit plus récemment. Au début de cette année.

En même temps, avez-vous pu faire connaissance avec ses proches ? Vous a-t-il également parlé de ce qui l'a conduit en prison ?

Je n'ai pas rencontré physiquement les membres de sa famille, mais Yvan m'a beaucoup parlé des siens, et de son histoire, mais je ne dévoilerai rien.

J'ai trop de respect pour lui. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il me demandait de lui parler de la Corse quand moi-même j'en revenais. De certains chemins, de mes promenades sur des sites qu'il connaissait mieux que moi, dans un besoin de raviver sa mémoire, de revivre à travers le récit de mes séjours dans l'île, ce qu'il y avait vécu.

 

Vous parlait-il aussi de l'avenir, de ses projets après la prison ?

Bien sûr. Yvan, c'était un lion, un mec qui ne lâche rien, qui n'abandonne jamais. Sa force intérieure le guidait aussi vers une discipline quotidienne, notamment ses séances du matin à la salle de sport, ses visites régulières à la bibliothèque. Le bibliothécaire connaissait très bien Yvan. Le nombre de livres qu'il a pu lire, dont ceux que je lui ai apportés, cela faisait partie d'une discipline de fer qui était pour lui le socle de sa santé mentale et de son éventuelle sortie. Il s'est enrichi en prison, il m'a dit qu'il n'aurait jamais eu accès à cette culture s'il n'avait pas connu la prison.

Sa sortie, il y croyait ?

Il attendait vraiment l'instant où il allait pouvoir de nouveau respirer l'air corse, mais en même temps, il n'était dupe de rien. Il était très lucide sur tous les éléments qui empêchaient son rapprochement à Borgo et son éventuelle libération.

L'instant où vous avez appris son agression ?

Tout de suite. J'ai eu l'impression d'être agressée moi-même. Si ce type ne l'avait pas agressé salement, lâchement dans le dos, on n'en serait pas là. Yvan Colonna, personne ne pouvait l'agresser de face.

Les conditions de son agression ? Grave dysfonctionnement de l'administration pénitentiaire ou au-delà ?

Je ne sais pas, je me pose des questions. Sur cette agression survenue à ce moment-là de la vie d'Yvan. On est en droit de se poser des questions, je m'en pose.

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