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Le transhumanisme, cette secte qui ne dit pas son nom


L’homme augmenté, ou l’homme grandi… voilà les qualificatifs qui guettent l’homme dans sa prochaine évolution. Si nous autres bipèdes intelligents d’aujourd’hui nous nommons avec prestige Homo Sapiens, l’homme savant, nous voyons combien s’agitent les scientifiques pour nous faire dépasser notre triste condition de simples mortels. Il se pourrait que notre durée de vie ne soit pas assez longue, que la nature périssable de notre corps ne soit pas une fatalité et que la maladie ne soit bientôt plus qu’un pâle détail de l’histoire. Une humanité polie, totalement « pure et sans tache », comme pourrait le dire Saint-Jacques dans son Épitre - bien que lui parlait de foi - une humanité qui, enfin, serait parfaite.
Dans leurs entreprises de Palo-Alto en Californie, les néo-ingénieurs, nouveaux sages parmi les sages, cherchent à dépouiller les hommes de tous leurs maux…
Là où Épicure aurait échoué, là où les religions auraient échoué, les néo-ingénieurs, posthumanistes, les nouveaux Da Vinci philanthropes au grand coeur et à l’âme bienfaisante, eux, uniquement pour le bien de l’humanité, vont réussir. Ce que l’on entend par transhumanisme selon, et pour rester dans le thème, l’encyclopédie en ligne Wikipédia, serait « un mouvement culturel et intellectuel international prônant l'usage des sciences et des techniques afin d'améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. » Autrement dit, cela équivaudrait à, par exemple, vous implanter une puce dans le cerveau pour vous faire retrouver une certaine motricité - comme ce tétraplégique américain qui retrouve l’usage de certains de ses membres grâce à ce procédé - (Sciences et avenir - 14 avril 2016), à implanter une puce dans le corps pour une analyse sanguine en temps réel (Huffigtonpost - 21 mars 2013), c’est ce qui permettra à l’aveugle de recouvrer la vue ou encore, ce qui reste le plus impressionnant pour le grand public, cela permettra de commander, à distance, par la pensée, des appareils électroniques… Comme lors de cette expérience américaine qui visait à installer un « modem cortical » chez les animaux dans le cadre de l’éventuelle création de « soldats cyborg » (agoravox.fr -10 mars 2016).  Vous l’aurez compris, en quelques mots un peu plus prosaïques, le transhumanisme c’est l’arrivée de Robocop dans votre propre maison… voire dans votre propre corps.
Si les progrès scientifiques visent à améliorer la vie de l’homme, ce qui est totalement louable reconnaissons-le, le problème se pose cependant lorsque l’on s’intéresse à la pensée.
Contrôler son aspirateur par la seule force de l’esprit ! Mais quelle merveille quand on y pense ! Et cela sera bientôt possible ! Contrôler à distance et par la seule force de son cervelet implanté sa propre voiture, son drone ou encore sa Google Glass… Que cela serait beau il faut avouer ! Rester paisiblement sur son canapé, toute la journée, apprendre en téléchargeant des applications cérébrales, travailler en commandant son cyborg à distance, se connecter directement, toujours assis, au plaisir ruisselant de l’autre bien disposé, cela ferait bien saliver les plus doctes d’entre
nous. Il ne resterait plus qu’à suçoter son tube de viande en crème pour se nourrir et ça y est, nous y serons enfin, au Paradis.
Le transhumanisme veut le bien de l’humanité, bien assise sur son canapé, qui pourrait avoir une
espérance de vie, nous le savons désormais, de plus de 120 ans. Oui mais… oui mais. Si, effectivement aujourd’hui, à Palo-Alto, on y travaille très sérieusement, des problèmes éthiques et des interrogations se posent. Si l’on se réfère à ce type de calcul informatique, que l’on nomme « algorithme », qui arrive jusqu’à prédire les coups de Kasparov sur son échiquier, comment ne pas se demander de quelle manière, un ordinateur, un savant ou un programme malintentionné ne pourrait-il pas venir jusqu’à contrôler notre propre pensée ? Puisque me voilà pucé pour mon bien et mon confort… Et que « mon temps de cerveau… » bien loin de n’être que disponible comme le dirait Patrick Le Lay, est désormais entièrement soumis. Est-ce un hasard si, lorsque je me rends sur quelques sites via internet, ce qui rend ma personnalité traçable, l’on me suggère ultérieurement des publicités qui « pourraient » m’intéresser par des spams bien dissimulés ? Comme s’il y avait, dans mes pérégrinations informatiques, une sorte d’intelligence orientée dans cet unique but : me faire cliquer, me faire consommer.
Imaginons dès lors notre humanité dite - augmentée - sans doutes pour son bien, avec une puce dans le cerveau, qu’adviendra-t-il ? Conservera-t-elle son libre arbitre ? Ou aura-t-elle l’illusion d’un libre-arbitre dans des choix orientés par des tiers ?
Ces nouveaux « transhumains » veulent inventer un nouvel homme. Contrôlé et soigné à distance. Un nouvel homme avec une unique religion qui, selon le sens premier du terme, le relierait aux autres par son « réseau » interne. La puce Wifi de son cerveau « augmenté », son « réseau social », le relie au reste du monde dans une volonté unique puisée inlassablement dans chacune de ses interrogations, comme nous le faisons déjà d’ailleurs, sur Google. Pourquoi alors ce dernier irait investir des sommes colossales dans le German Research Centre for Artificial Intelligence (DFKI) qui présente en 2015 un budget de plus de 41 millions d’Euros ?
Une nouvelle religion s’imposerait alors, comme l’a si bien suggéré Grégory Renard, fondateur de la société X-Brain, lors d’une conférence organisée par le festival Arte Mare 2016 à Bastia, dont le thème était « Arte Mare prédit l’avenir ». Quel thème évocateur pour un sujet on ne peut plus en vogue. Cette nouvelle religion donc, qui fait de l’homme le « Créateur » de sa propre évolution,
l’homme 2.0, celui qui n’a ni Dieu ni Maître ou plutôt, celui qui est son propre Maître, son propre Dieu. Cet homme qui crée pour le « bien » de la masse consumériste et désormais uniforme, part au delà du pyramidion de l’édifice qu’il a créé, il devient un supra-Dieu qui travaille à sa propre immortalité… Ne plus mourir, ne plus tomber malade, être sa propre transcendance voilà ce qui préside à l’oeuvre du néo-ingénieurs transhumain. Mais qu’inventent donc ces transhumains supra-augmentés et grandis qui n’appartienne déjà à l’homme et à l’histoire ?
Car, disons-le, à travers ces procédés, il s’agit bien de créer une nouvelle transcendance. Si, au VIème siècle avant notre ère, Héraclite l’Éphèsien, dans ses Fragments, nous présente la transcendance comme étant liée à l’univers, soit à l’infiniment grand, il nous apprend qu’elle « descendrait » vers l’infiniment petit, qu’elle organise par ailleurs. L’homme ne serait qu’un « récepteur » de ce réseau universel. L’axe formé ici est vertical. Le nouveau « réseau » voulu par les transhumains serait quant à lui sur un plan horizontal : pas d’Être ou de Volonté Supérieure, pas de capacités « supra-humaine » chez l’homme non pucé, ni de Grande Idée de Justice Universelle, comme nous le suggère Platon dans sa République, mais seuls des algorithmes, des programmes et… des hommes augmentés - que les néo-ingénieurs symbolisent par H+. Héraclite nomme cette transcendance verticale, sa transcendance, Logos. Elle suppose qu’une raison universelle préexiste à toute chose, et, émanant de « l’Un-Tout » comme le dirait Pythagore, qui gouverne l’univers et le monde, ferait que tout soit issu d’une seule et même chose. Après-tout, n’est-ce pas Chilon de Sparte, l’un des sept sages présocratiques qui, au VIIème siècle avant notre ère, suggérait aux hommes de « se connaitre eux-mêmes » ? N’est-ce pas Socrate qui, quelques années plus tard, suggérait à ces mêmes hommes de se connaitre eux-mêmes s’ils
voulaient connaitre l’univers et les Dieux ?
Socrate leur a-t-il suggéré une seule fois d’aller sur Google ? Sur Wikipedia ? De se pucer la cervelle ou de faire confiance aux prophètes du transhumanisme ? Non. Socrate invitait à l’introspection… comme si en chaque homme, à égalité, se trouvait l’univers tout entier puisqu’issus de la même origine. Comme si chaque homme, par son propre travail et sa persévérance, par son introspection, et non par « l’externalisation de sa pensée » comme le disent les transhumains, pouvait « s’augmenter » par la simple connaissance de lui-même.
Est-ce un hasard si Pythagore est connu pour sa métempsychose ? À savoir la transmigration de son âme d’un corps à un autre, ce que semblent promettre les transhumains. Pythagore aurait de plus vécu plusieurs centaines d’années. Hermes Trismégiste dans son Corpus Hemeticum ne nomme-t-il pas cette « étincelle » universelle, qu’il pourrait qualifier de « divine », Noûs ? Cette chose qui parle dans le for intérieur des hommes, le Daemon de Socrate ou encore l’ombre du grand voyageur Nietzsche. Dans l’introspection et le fait de se connaitre à nouveau soi-même existerait une chose extraordinaire. De plus, ce que promettent les transhumains, n’est-ce pas ce que certains ont décrié à maintes et maintes reprises dans les récits bibliques ? Le Christ n’allait-il pas, comme Socrate, trouver sa voie dans son for intérieur, en laissant descendre son fil à plomb jusque dans les profondeurs abyssales de son être pour en remonter avec la Parole du Père ? Le Christ n’a-t-il pas fait marcher un paralytique ? N’a-t-il pas rendu la vue à un aveugle ? À cette différence prêt que pour le Christ, tout à été accompli par la Force de l’Esprit et la Volonté du Père, nous disent les Écritures. Tandis que, pour notre élite transhumaine qui ne promet le bonheur qu’à qui peut le financer, cela s’accomplirait par des nano-caméras, des puces électroniques, des émetteurs et récepteurs cérébraux.
Être transhumain s’accompagnerait de spams, et d’intérêts tiers qui rendront l’homme dépendant. Chercher le même accomplis-sement dans l’introspection, l’expérimentation personnelle et l’usage de son libre-arbitre semble être à la portée de tous même si le chemin parait fastidieux. L’homme croit aujourd’hui qu’il peut faire évoluer l’homme… Mais est-il au moins capable de le faire évoluer
de manière désintéressée ?
La philosophie est et restera continuellement une possibilité de progresser soi-même jusqu’à, pourquoi-pas, atteindre l’ataraxie, cette absence de troubles de l’âme si chère à Épicure.
Les prophètes horizontaux du transhumanisme semblent se positionner pour créer cet homme augmenté, mi-homme mi-technologie et dépendant. Ils coupent le champ à toute évolution naturelle de chacun. Ils éteindront la nature à petit feu et anéantiront toute notion de Providence lorsqu’il s’agira de servir les grands lobbies financiers. Les transhumains se nourriront de la ferveur de la masse haletante pucée, pendant qu’ils jouiront, entre eux, de cette immortalité qu’ils veulent atteindre. Reste à savoir qui sera le gourou, le Grand Prophète ou le Glorieux Pharaon.
Le cerveau de l’homme, nous le savons, et le film Lucy de Luc Besson nous en est témoin, n’a pas fini d’évoluer. L’humanité devrait-elle alors se soumettre à ces nouveaux prophètes transhumains ? À tous ces Christ de carton-patte glorifiés par l’argent ? Les dés sont en train d’être jetés. L’étau se resserre peu à peu et ces quelques mots pourraient régler définitivement le sort de cet article : « Mon royaume n’est pas de ce monde », comprenne qui pourra.

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