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Ange-Mathieu Mezzadri

 

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A propos de Laetitia Laurelli, la métisse bien-aimée. 

 

Il est des livres qui, sans être des œuvres d’art, sont grands par l’émotion qu’ils suscitent. Celui de Laetitia Laurelli est de ceux-là. Il s’agit certes de son histoire - peu ordinaire - mais au fil des pages, en filigrane, jusqu’à l’aveu final, s’exprime aussi un magnifique témoignage d’amour à son père, un corse emblématique de ce que notre île et notre peuple peuvent produire de meilleur. Qu’on en juge ! Jean-Pierre Giudicelli est, comme beaucoup de Corses pauvres de l’époque, amené à s’engager dans l’armée. Il rejoint la Coloniale et devient méhariste au Tchad. Le jeune soldat, il s’éprend d’une belle nomade, Aïcha, une fille de chef qu’il demande en mariage et épouse selon la coutume de la tribu de celle-ci. De cette union, née en 1937 une petite métisse, prénommée Laetitia comme sa grand-mère paternelle. Marie-Laetitia Ciosi. Oui, la métisse bien-aimée possède des liens de parenté avec le célèbre et attachant chanteur insulaire, Antoine Ciosi, et avec la famille de l’immense résistant Henry Fresnay. En 1939, la guerre éclate, Jean-Pierre Giudicelli est contrait de confier sa fille à la garde de sa tribu nomade, et tout spécialement à celle de son grand-père, Mohamed Abdelkader. Néanmoins, il s’engage à revenir la reprendre dès qu’il le pourra. La promesse se réalise en 1949 : la petite Laetitia, qui ne parle pas un mot de français mais seulement l’arabe, retrouve son père qui, en homme corse, a honoré sa parole. Une nouvelle vie commence pour elle. Mais d’abord son père la reconnait officiellement ; elle ne partagera donc pas le sort de ces malheureux métis souvent abandonnés par ceux qui auraient dû s’occuper d’eux. Ce que l’homme dit alors à sa fille mérite d’être cité : « Dorénavant, tu es de nationalité française et tu as les mêmes droits que les enfants blancs. Sur tous les documents tu es devenue Laetitia Guidicelli » (page 133). Nous sommes en 1951 ! Quelle belle conscience paternelle. Preuve qu’il n’était pas - ou qu’il n’est pas - besoin de nos actuelles associations tapageuses pour être un homme droit : être corse suffisait, ou suffit ! En 1951 toujours, père et fille rentrent en France, exactement en Corse. Tel que raconté, à tant d’années de distance, l’accueil de la métisse bien-aimée par sa famille insulaire est émouvant. Lecteurs, nos lointains souvenirs aussi affluent en trombe à parcourir les étapes de cette biographie aussi atypique que riche d’images si coutumières pour nous Corses. Nous les visualisons bien ces parents étreignant d’émotion, parce qu’elle est du même sang qu’eux, une petite inconnue qu’ils n’avaient encore jamais vue! Cet amour inconditionnel pour les nôtres, c’est peut-être ça, avant tout, être corse ! Biographie peu commune oui, narrant deux trajectoires hors-normes : celle de Jean-Pierre mais également celle de sa file Laetitia. Née au Tchad d’une mère nomade dans la tribu arabo-africaine musulmane des Toubous, et d’un père corse et catholique. Etrangement, le métissage de Laetitia Giudicelli me fait penser à cette auteure américaine que je voulais traduire pour la collection que j’animais au sein des éditions Max Milo. Je fais-là allusion à un livre qui m’a fortement interpellé et qui - comme il se doit - est évidement resté parfaitement inconnu en France : celui de Rebecca Walker intitulé « Black White Jewish, Autobiography of Shifting Self » (Noire Blanche Juive. Autobiographie d’une mouvante conscience de soi). Cette notion de glissement de la représentation de soi est sous-jacente tout au long du livre de Laetitia Giudicelli ; elle nous interroge en permanence en contrepoint. J’écris « Laetitia Giudicelli » mais la narratrice, la métisse bien-aimée, s’appelle maintenant Laurelli, s’étant marié à Cyprien, originaire du Fium-Orbo. La belle histoire corse se continue de la sorte. J’avoue qu’une certaine nostalgie m’a saisi ainsi qu’un équivalent désarroi. La trajectoire coloniale de Jean-Pierre Giudicelli fait écho à celle de milliers de Corses, à certains de ma propre famille, partis là-bas au bout du monde, au fin fond d’un « empire alors français » qu’ils ont servi avec toute la dignité et toute la fidélité dont les membres de notre peuple peuvent faire montre. En cela, je le répète, Jean-Pierre Giudicelli est exemplaire ! Mais à quoi cela a-t-il abouti sinon à consumer leur vie si loin de leur terre natale ? Ecoutons encore Laetitia : « Mon père sent la vie le quitter. Il ne veut absolument pas mourir en métropole. Il repart en Corse et rejoint une maison de retraite proche de Venzolasca, le village où il est né. J’ai pu l’assister dans ses derniers moments » (page 193). Cette ultime volonté est celle de chacun de nous ; elle est celle de tous les Corses fidèles ; elle fut celle de maints membres de ma famille ; elle est la mienne. Les Corses, semblables au héros de L’Odyssée, veulent toujours rentrer chez eux. Alors, j’emprunte, pour dire mon sentiment du moment, ces quatre vers à cette belle chanson de Dopu Cena :

 

« L’odissea di la mio ghjente

Era un ingannu di e sirene

E strade di u continente

Eranu fatte di catene »

 

Revenons, pour conclure, à notre métisse bien-aimée. Son livre, de belle manière, atteste que la Corse sait faire des Corses, comme celui de Rebecca Walker confirme que l’Amérique continue de faire des Américains.

Au vu de tels éloquents exemples, il serait urgent que la France d’aujourd’hui se demande enfin ce qu’elle est encore capable de faire. Mais c’est une autre histoire !

                                                                                

Laetitia Laurelli. Hugues Fraysse. La métisse bien-aimée. 7 écrit éditions, Paris, 2016 ; 201 pages.

Rebecca Walker. Black White Jewish. Riverhead Books, New York, 2001; 324 pages

Dopu Cena. L’Odissea. Editions Production Ricordu

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