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A’ la recherche des instruments de musique de tradition en Corse. (Hommage aux précurseurs Felix QUILICI et Père Louis DOAZAN).

 

Aujourd’hui, nous nous trouvons à la fin d’un cycle culturel et artistique, et tout spécialement en Corse où nos anciens s’en vont pour des rivages lointains … d’où cet article qui fera je l’espère connaître à un plus grand nombre grâce à MEDIA CORSICA, un domaine important de nos traditions corses, l’occasion aussi de rendre un hommage sincère à nos prédécesseurs.

 

J'ai commencé mes recherches d’instruments de musique populaire, d’une façon plutôt empirique les premières années lors de mes collectages sonores dans les années 80, de village en village année après année sans me préoccuper d'un quelconque classement : il s'agissait alors de sauvegarde, voire de sauvetage de connaissances en voie de disparition. Ainsi, en même temps que je posais des questions concernant les violoneux et leurs traditions, je recherchais aussi les vieux instruments de musique ; d'autres fois c'étaient les témoins qui en parlaient spontanément lorsqu’ils évoquaient les bals, les jeux, les traditions festives…

 

J'ai alors peu à peu rassemblé des informations sur ces instruments de musique, à partir de collectes de terrain déjà existantes et de mes connaissances personnelles acquises lors de mes collectages.

En recensant et enregistrant des instruments de musique ayant joué et interprété les musiques populaires transmises de bouche à oreille à force de répétition et d’écoute et d’observation, je découvrais toute une histoire de vie …ainsi elle m’était livrée, je voudrais dire confiée !

Conjointement, Frédéric de La Grandville, organologue et maître de conférences à l’université de Reims Champagne-Ardennes, (Centre d’Etudes et de Recherche en Histoire culturelle) commença en avril 1992, un travail d'inventaire de tous les instruments de musique (savante et populaire) uniquement dans les collections publiques ou musées de Corse et du Continent.

Il faut savoir aussi que le souci de préserver les instruments de musique des peuples entre dans le projet dynamique de mise en valeur du patrimoine immatériel, promu et reconnu par l'Unesco, comme faisant partie du Patrimoine Immatériel.

 

La phonothèque du Musée de la Corse s’intéresse depuis 1990 à toute la Corse et compte à ce jour un fonds musical et patrimonial de 2100 heures d’enregistrements, 300 heures de reportages vidéos sur le musical, une 40aine d’instruments anciens et des documents graphiques (partitions et ouvrages sur la musique ou la poésie corses). L’objectif principal est d’accueillir des fonds sonores, mais aussi des collectages faits par des particuliers, des associations et de promouvoir des enquêtes ethnomusicologiques afin de les faire connaître à différents publics. Il s’agit donc bien de collecter des poètes ou personnages clés issus du monde rural traditionnel et artistes porteurs d’une tradition et encourager le dépôt de documents sources :

A l’instar de toute Institution, tout commence par un recensement de l’existant, il a donc fallu rassembler des informations sur ces instruments de musique, à partir des collectes précédentes.

 

Les collectes précédentes :

Félix QUILICI, dès 1946, et surtout à partir de 1948 lors de l'enquête ethnographique et linguistique lancée par les ATP, puis tout au cours de sa vie retrouva des flûtes en corne de chèvre, des clochettes (déposées avec les enregistrements sonores au Musée des arts et traditions populaires), un violon à RUSIU, et plusieurs cistres populaires ("cètare").

Le musée ethnographique de L’ADECEC à CERVIONI, a créé dans une partie de ses salles, un espace pour les instruments de musique populaire et les jeux pour enfants en collaboration avec Petru CASANOVA (auteur du livre « Appellamanu » en 1982) et Dumè GAMBINI.

Le père Louis DOAZAN (décédé cette année 2018) collecta des flûtes et clarinettes populaires, fit faire des copies par des bergers et aussi à une ethnologue musicienne suisse nommée Lota ZIMMERLI. En même temps qu’il constitua une petite collection d'instruments de Ténèbres. En 1997 l'ensemble des instruments d'abord déposés et exposés au château-musée des MILELLI (sur les hauteurs d'Ajacciu ) par le Père Doazan et Natale Luciani a été par la suite transféré au MUSÉE de la CORSE ( à Corte ).

Afin de publier son ouvrage (Etat des recherches sur les instruments traditionnels en Corse, par e Voce di u Cumune, édition Accademia d'I Vagabondi, Curbara 1980) l’Association E Voce di u Cumune et la Corsicada firent le relevé de flûtes et de cistres populaires pour en faire des copies, recueillit aussi des instruments anciens exposés aujourd’hui au « MUSEU Musica » de Pigna.

Notons que certains luthiers portèrent une attention particulière aux instruments de musique, nous ne pouvons les citer tous ici, de même que des antiquaires de renom ou des collectionneurs.

Toutes ces recherches ont abouti à mettre en lumière et en valeur le travail artistique de ces menuisiers, forgerons, bergers, violoneux qui ont donné naissance et façonné tous ces objets porteurs et témoins de fêtes et coutumes ancestrales » : I STRUMENTI PUPULARI DI A CORSICA.

 

Dans la lignée d’un Félix Quilici, Wolfgang Laade ou Michel Giacometti, les différents chercheurs-collectionneurs ont pris en compte tous les objets sonores non répertoriés habituellement comme instruments de musique tels les sonnailles, certains jouets d’enfant, ou des instruments rituels de confréries utilisés pendant la Semaine Sainte.

 

A ce moment-là se posent alors les questions relatives à une typologie, à une taxinomie des instruments de musique populaires, à la fois demandée et attendue du public et des institutionnels.

 

* Strumenti à fiatu : les instruments à vent (flûtes, clarinettes pastorales, accordéons diatoniques): la famille des instruments à vent regroupe aussi bien les antiques trompes d’appels en matériaux bruts remontant à la protohistoire : Coquillages, cornes, écorces d’arbres, que les flûtes et clarinettes pastorales, instruments plus travaillés au couteau et au fer rouge dans des cornes et des roseaux.

Nés dans un contexte sylvopastoral, souvent méprisés, ils furent jetés, oubliés, délaissés ...ne correspondant plus au mode de vie actuel. On oublia aussi bien les mélodies méditatives que les virtuosités imaginatives des ancêtres.

- les flûtes en os, ou cornes de chèvre percées de 3 à 5 trous e pífane, les flûtes en roseau e pírule ou bien i fiscaroli, les trompes d'appel des troupeaux en écorce ou avec les cornes de vache e spurenchje et e curnette.

- Instruments à vent des plus rudimentaires, mais très importants car c’étaient les premiers objets sonores fabriqués dès l’enfance, ceux qui donnaient à entendre les premiers sons musicaux : l’ensemble des e físcule, e fisculelle en écorce, allant des sifflets i frisci aux trompes d’appel e curnette, e spurenchje. Nous avons effectué des reportages filmés afin de recueillir des savoir-faire ancestraux et des pratiques musicales authentiques, restées dans la mémoire de quelques rares témoins jusqu’à aujourd'hui. Les dénominations évoluaient suivant l'informateur alors tenons compte de ce fait qui n'est pas innocent, et même riche de sens !

 

-les clarinettes rustiques en bois locaux sculptées et percées au fer rouge de 5 ou 6 trous

e cialambelle.

-a carramusa, (la cornemuse), ne figure que sur des fresques ou des dessins. Il a donc fallu que des chercheurs, des musiciens s’attèlent à la tâche de les reconstituer avec le maximum d’authenticité.

-d’autres instruments, tels l’urganettu ou accordéon diatonique, ou les harmonicas i sunetti, inventés vers 1880, (et plus tard les accordéons chromatiques « à piano ») furent importés du Continent (France, Italie ou Allemagne), par des journaliers ou des soldats. Tout un répertoire de danses fut donc joué en Corse, avec les modifications locales venant des autres airs ou styles de tradition orale corse. Il y aurait eu des guimbardes e ribèrbule forgées en Corse, mais celles recensées à ce jour dans les collections des musées viennent de fabricants de Sardaigne ou d'usines de Paris.

 

-un grand nombre d'orgues de facture italo-corse à l'intérieur des églises servaient aux offices religieux ; à noter qu'ils furent joués le plus souvent d'oreille par des organistes de village et mériteraient un article complet les concernant. Un très bel exemple a été acquis par le Musée de la Corse et a été restauré et joué en public, il s’agit de l’orgue positif de salon et de facture locale de la maison Giuliani à Muru. Autre exemple d’acquisition suivie d’une restauration celui d’un piano mécanique utilisé dans un bar de village.

 

  • Strumenti à corde : les instruments à cordes (Violons, cistres, mandolines, guitares et banjolines).

-I Viulini : Les violons fabriqués en Corse ont pour modèle le type de violon dit « classique », u viulinu à 4 cordes accordées en quinte, « inventé » à Brescia en Italie au 16° siècle. Notons a viola à 3 cordes, et   u viulone  grand violon rustique à la sonorité grave à 4 cordes construit pour le carnaval ou l’accompagnement d’autres violons. Localement construits dans des bois locaux, seul le chevalet (acheté) était souvent retaillé par les violoneux (pour abaisser la hauteur des cordes et faire en sorte que la courbure du chevalet soit moins accentuée que dans les violons dits « classiques"). Cela leur permettait de faire danser au village ou accompagner dans un style unique et personnel les chanteurs de serinati in currente. Ces violons populaires d'après les collectages entendus, et nos investigations, avaient aussi des sonorités bien particulières, en plus des styles de jeu propres à chaque piève, voire chaque village. Les musiciens corses aimaient forger leur son propre, se démarquer des autres violoneux !

-E Cètare: les Cistres populaires corses sont des instruments à cordes doubles métalliques (2x 8), à caisse piriforme, au manche large permettant un jeu mélodique et d’accompagnement.

Les menuisiers ou ébénistes qui les fabriquèrent utilisèrent des bois locaux (sauf l’ébène noir pour les touches). A la croisée des influences italiques, ibériques, helléniques ou arabo-andalouses, les cètare font partie de la grande famille des luths archaïques de la Méditerranée.

 

-A Mandulina : les mandolines, de différents modèles (bombées ou plates) mais toujours à quatre codes doubles, furent beaucoup jouées sur l’île. Instruments ayant pour origine le petit luth persan, traversèrent toute la méditerranée autant que les cistres, et en Corse héritèrent de traditions populaires napolitaines ou calabraises en interprétant chansons, notamment des sérénades, ou des airs à danser. Au niveau des danses, les mandolines et les banjos-mandolines jouaient à côté des violons, des guitares et des accordéons pour faire danser ou porter des sérénades aux balcons des jeunes filles. Mais d’après les archives on peut noter qu’un répertoire important d’origine savante venant du mouvement associatif des Estudiantine fut écrit et transmis par des professeurs à partir du 19°siècle, surtout dans les villes de Bastia, Aiacciu et Corti. Au 20° siècle, ces airs voyagèrent à travers la Corse des villages par la suite par le biais de groupes folkloriques…sans oublier l’influence considérable des disques de l’excellente interprète Maria Civittaro qui ancrèrent un style bien particulier et très apprécié dans les maisons corses ou les cabarets corses du Continent.

 

-A Ghitarra: les guitares furent jouées en Corse assez tardivement (début XX° siècle). Elles avaient toutes 6 cordes, des formes et des tailles qui variaient, surtout jouées dans les villes du littoral, elles accompagnent chansons, complaintes, mandolines et banjos. Les guitaristes corses ont gardé un jeu caractéristique, s’accordant plus bas que le La 440 pour un répertoire allant de la valse- mazurka aux prémices du jazz manouche ...

 

* Strumenti à Pichju : les instruments à percussion (claquoirs, marteaux, crécelles, sonnailles diverses, de type rituelles ou festives).

Les percussions en Corse furent multiples : pierres frappées e petrecampane, plaquettes de bois (sorte de castagnettes rectangulaires) e chjocche, clochettes et triangles e tintenne et i tímpani. Mais seuls des souvenirs évoquent des tambours avec 2 bâtons e casselle et bien sûr les mains (frappées seule ou sur les tables, vitres etc.…N’oublions pas que les percussions furent interdites en Corse, selon nos recherches de textes d’interdictions de Carnavals et de rassemblements festifs populaires, au moins à partir du 17° siècle!

 

Le premier groupe de percussions comprend les seules percussions qui ont été intégrées dans les rituels de l’Eglise catholique, et jouées par les confréries pour l’Office des Ténèbres de la Semaine Sainte, à savoir les crécelles e ràgane, et les claquoirs. Elles étaient construites par les menuisiers.

Le second groupe concerne les sonnailles e tintenne et les triangles i tímpani qui accompagnaient les violons et les cètare pour les musiques de danse, et notamment le carnaval. Il existait d’autres percussions telles e casselle (tambour type bendir du Maghreb),

u bastone sunaghjolu (bâton avec grelots) dont les témoignages relatés par l’ethnologue Rennie Pecqueux-Barboni subsistent mais dont on n’a pas retrouvé d’exemplaires anciens.

 

Dans les temps anciens sur cette île de Corsica, les instruments servaient aux sérénades, danses de groupe ou de couples et à des réjouissances lors des mariages, baptêmes ou bien à des rituels précis: fêtes de solstices, fêtes des saints-patrons propres à chaque village, hommages aux ancêtres, rituels religieux, ...

C’est grâce aux instrumentistes des villages I sunadori et aux recherches sur les violoneux et les cètare initialement effectuées par Félix Quilici dès 1947, qu’aujourd’hui une nouvelle génération pratique et enseigne ces instruments. Le recensement des airs traditionnels « à l’antica », atteint aujourd’hui plus de 270 mélodies de pure tradition orale. Parmi ces divers collectages, on peut reconnaître un style de jeu propre à chacune des pieve : Fium’orbu, Rocca, Crùzini, Balagna, Castagniccia, Boziu et Valle Rustie ...un peu comme les styles vestimentaires, une sensibilité aux couleurs, aux détails, des messages aussi aux générations à venir …qui méritent toute une attention bienveillante.

 

Bernardu PAZZONI. Septembre 2018. AJACCIU – CORSICA. Pazzon1@hotmail.com

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