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Demain, l'éolien et le solaire flottants pourront répondre
                     aux besoins d’énergie de l’humanité

 

 

 

Le dernier rapport du Giec, sorti il y a quelques jours, nous rappelle que, sans efforts supplémentaires pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, nous nous acheminons vers une augmentation de 2,7° de la température mondiale d’ici la fin du siècle, ce qui risque d’avoir des conséquences considérables et catastrophiques pour l’humanité. Implacable, ce rapport particulièrement complet (Voir Ministère Transition Ecologique...) souligne que le monde devrait dès à présent commencer à diminuer de 5 % par an ses émissions de CO2, pour avoir une chance de rester en dessous d’un réchauffement de 1,5°, seuil considéré comme acceptable et gérable, quoique déjà porteur de profonds changements climatiques, environnementaux, économiques et sociaux. Commentant ce rapport, Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, exhorte les pays développés à accélérer le rythme de réduction de leurs émissions de CO2, de manière à se rapprocher de la neutralité carbone vers 2040, soit 10 ans plus tôt que prévu par les accords internationaux.

Selon le dernier rapport de l'Irena, publié le 21 mars 2023 (Voir IRENA), les énergies renouvelables ont gagné dans le monde 9,6 % de capacités supplémentaires en 2022. Elles représentent à présent 11 % du mix énergétique mondial, soit plus que la part du nucléaire, mais sont encore loin derrière le charbon dont la consommation atteint le niveau record de huit milliards de tonnes par an, une tonne par habitant de la planète… Cette croissance indéniable des énergies renouvelables reste encore insuffisante face à une consommation mondiale d’énergie et surtout d’électricité qui est repartie comme jamais à la hausse en 2022, après la parenthèse de stabilité provoquée par la pandémie de Covid-19.

Il est vrai que la part de l’électricité dans la consommation mondiale d’énergie (15 Gteps en 2022) a doublé en 40 ans, atteignant 21 %, et cette part pourrait atteindre le tiers de la demande mondiale d’énergie d’ici 2030, car la réduction massive des émissions de GES suppose une électrification croissante des services et usages, notamment dans le domaine des transports, avec un parc mondial de voitures électriques qui pourrait passer de 25 millions à 400 millions d’unités d’ici 2040. Pour mieux se rendre compte de l’explosion de la consommation électrique mondiale, il faut savoir qu’en 2022, année de la reprise économique mondiale, la consommation planétaire d’électricité a augmenté de plus de 1000 TWh, soit la consommation électrique de l’Inde…

A ce rythme, compte tenu des deux milliards d’humains supplémentaires qui peupleront notre Terre d’ici 2050, et quels que soient les efforts de sobriété énergétique, la plupart des experts tablent sur une augmentation de 50 % de la consommation électrique mondiale d’ici le milieu du siècle. C’est bien pourquoi l’Irena, dans son rapport souligne que « Si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5ºC par rapport à l'ère préindustrielle, nous devrons tripler, chaque année jusqu'en 2030, les nouvelles capacités renouvelables ».

Heureusement, la part des énergies renouvelables (hydraulique, éolien et solaire principalement) dans le mix électrique mondial a augmenté de façon bien plus rapide depuis dix ans, passant de 20 à 30 %, et cette part devrait atteindre 35 % dès 2025, dépassant enfin celle du charbon (33 %), et pourrait dépasser les 50 % en 2040, c’est-à-dire bien plus tôt que prévu, grâce à l’incroyable montée en puissance de l’éolien et du solaire, boostée par deux ruptures technologiques majeures, l’éolien et le solaire flottant.

Le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie souligne le potentiel immense de l’éolien marin en général et l’éolien flottant en particulier. En 2019, General Electric a présenté son fleuron, l’Haliade-X, l’éolienne la plus puissante du monde, d’une capacité de 12 mégawatts (MW), capable d’alimenter à elle seule seize mille foyers. Ce monstre des mers a été conçu pour pouvoir être installé à plus de 100 kilomètres des côtes. Cette nouvelle génération d’éolienne a permis à des pays comme la Grande-Bretagne, le Danemark ou l’Allemagne, de lancer de gigantesques projets de parcs éoliens marins dont la puissance dépasse le gigawatt (GW) et rivalise avec celle d’un réacteur nucléaire. L’arrivée de ces éoliennes marines géantes, dont certaines s’approchent à présent des 20 MW, a permis une chute spectaculaire des coûts d’exploitation et de production de l’électricité marine, qui est passée en dix ans de 4 euros à 50 centimes du kWh. 

Mais voici qu’une autre révolution, celle de l’éolien flottant, ouvre des perspectives encore inimaginables il y a quelques années. Le parc éolien Hywind Scotland, au large des côtes écossaises, a été pionnier en la matière. Construit par la société norvégienne Equinor, il regroupe cinq éoliennes flottantes géantes de 255 mètres de haut, capables d'alimenter 34 000 foyers au Royaume-Uni. Grâce à ce bond technologique qui résulte de dix ans de recherche, il devient maintenant possible d'installer des parcs éoliens loin des côtes, et de profiter ainsi de vents plus forts et plus constants. Et les résultats sont là : le parc de Hywind Scotland a atteint un facteur de charge record (temps réel de production) de 54 %, à comparer avec celui de l'offshore en Europe, 39 %, et celui de l’éolien terrestre européen, qui tourne autour de 24 % …

Autre exemple parlant, le parc WindFloat Atlantic, qui a été raccordé au réseau électrique, à 20 kilomètres des côtes de Viana do Castelo au Portugal. Il se compose de trois machines géantes de 190 mètres de haut, installées sur des plates-formes flottantes semi-submersibles, arrimées par des chaînes au fond marin, à une profondeur de 100 mètres. Cette remarquable technologie, baptisée WindFloat, permet l'installation d'éoliennes en haute mer, une zone jusqu'à présent inaccessible, où d'abondantes ressources en vent peuvent désormais être exploitées. Cette technique s’est montrée capable de faire face à des conditions météorologiques extrêmes, avec des vents de plus de 120 km/h et des vagues de plus de 15 mètres de haut. 

En riposte aux nouvelles éoliennes marines chinoises, comme la turbine MySE 16.0-242 (16 MW), dévoilée par la société chinoise MingYang Smart Energy, capable d’alimenter 20 000 foyers, avec sa hauteur de 264 mètres, et ses pales de 118 mètres de long, General Electric, qui construit déjà l’Haliade-X 14 MW (pouvant produire 74 GWh de production annuelle brute d’énergie), a récemment dévoilé un projet d’éolienne Haliade-X encore plus puissante, capable, comme son homologue chinoise, d’atteindre les 18 MW de puissance, pour une production qui pourrait atteindre les 100 millions de kWh par an, de quoi alimenter, comme sa concurrente chinoise, 20 000 foyers en électricité, chauffage compris. 

Mais l’avenir appartient peut-être à des structures encore plus grandes et performantes, reposant, non plus sur des éoliennes à axe horizontal (ou HAWT, pour Horizontal Axis Wind Turbine), dont les axes rotatifs sont parallèles au sol, mais sur des éoliennes à axe vertical, dites "contra-rotatives". Dans ce nouveau type d’éolienne, le générateur et le rotor se trouvent immergés sous l’eau, servant de stabilisateurs et de contrepoids ; la turbine supérieure tourne dans un sens, tandis que la turbine inférieure et l’extérieur du mât tournent dans le sens inverse. Une société norvégienne, "World Wide Wind", est en pointe dans cette technologie prometteuse qui pourrait permettre de dépasser les limites physiques actuelles inhérentes aux éoliennes marines classiques. Ces éoliennes peuvent exploiter le vent provenant de n’importe quelle direction et s’inclinent pour mieux résister aux vents violents ; leur conception permet d’installer quatre fois plus de turbines dans le même espace.

Selon WWW, un Windcatcher pourrait produire autant d’énergie que cinq des turbines flottantes les plus puissantes existantes, tout en réduisant de moitié le prix de l’énergie produite. Ce concept novateur rendra les parcs éoliens flottants bien plus efficaces en utilisant de manière judicieuse un plus grand nombre de turbines plus petites avec des pales de 15 mètres de long. Au total, un Windcatcher de 400 mètres de haut pourrait produire suffisamment d’énergie pour alimenter 80 000 foyers tout en réduisant de 80 % la surface de l’installation.

A côté de l’éolien flottant, une autre révolution technologique, moins connue et moins médiatisée, est en cours dans le domaine de la production massive d’énergie propre : le solaire flottant. En France, une jeune société baptisée "Solarin Blue" a développé sa propre technologie de centrale solaire flottante offshore. Depuis les quais du port de Sète-Frontignan (Hérault), l’entreprise montpelliéraine vient de mettre à l’eau 2 des 25 unités de son projet "Sun’Sète". Il s’agit d’une ferme photovoltaïque de 5 000 m² pour une puissance de 300 kWc, qui sera progressivement remorquée à 1,5 km au large d’ici quelques semaines. Chaque unité de 12 m de long pour 9 m de large intègre 20 panneaux, montés sur une structure métallique et maintenue à la surface par des flotteurs en polyéthylène haute densité (PEHD) recyclé. Ces panneaux restent éloignés de la surface de l’eau, grâce à un tirant d’air de 3,5 m. De ce fait, ils ne sont jamais en contact avec les vagues. Cette installation inédite a été conçue pour résister à des creux de 12 m et à des vents de 200 km/h. La production électrique de ces structures, estimée à 400 MWh, est exportée via un câble sous-marin. Elle servira à alimenter les installations du port de Sète.

Ce nouveau type d’installation solaire flottante surélevée peut exploiter de nombreux plans d’eau inutilisés, où il n’y a aucun conflit d’usage. Autre avantage considérable du solaire flottant, il limite sensiblement l’évaporation de l’eau. Une étude réalisée par des scientifiques brésiliens, dans l’État de Paraná au Brésil, a évalué les potentialités de ce nouveau concept de solaire flottant sur le réservoir de Passaúna, d’une contenance de 69,3 millions de m3. Ce bassin fournit de l’eau à 20 % de la population locale et accueille un parc solaire flottant de 130 kWc déployé sur 1 265 m². Cette étude montre que les réservoirs perdent jusqu’à la moitié de leur eau par évaporation. S’agissant du réservoir de Passaúna, la perte est estimée à 4,5 millions de m3 par an, ce qui est considérable et représente la consommation annuelle de 10 % de la population locale, soit 58 000 personnes. À l’issue de ces recherches, les scientifiques brésiliens ont pu établir que cette station solaire flottante avait réduit de 60 % la quantité d’eau évaporée.

Autre projet intéressant, la future centrale flottante de Perthes, en Haute Marne, qui sera mise en service fin 2023 dans une ancienne gravière et sera la plus grande de France, avec une superficie de 80 hectares et une capacité installée de 65,5 MW. Elle pourra alimenter en électricité 26.000 habitants.

Il y a quelques jours, un consortium belge, associé à l’Université de Gand, a présenté une plate-forme photovoltaïque offshore, baptisée Seavolt. Cette installation modulaire surélevée de 6 mètres est capable de résister aux environnements marins extrêmes et peut être associée aux parcs éoliens marins, pour en augmenter la capacité de production. Ce premier prototype sera mis en place au large de la côte belge cet été.

Une récente étude internationale, associant des chercheurs chinois, américains et suédois (Voir Nature sustainability), estime que la production d’électricité potentielle des installations solaires flottantes (FPV), sur la base d’une couverture de 30 % sur 114 555 réservoirs mondiaux, pourrait atteindre environ 9 400 TWH par an, soit le tiers de la consommation mondiale d’électricité en 2022 (environ 28 000 TWh). En prenant en compte la proximité de la plupart des réservoirs avec les principales régions les plus peuplées, ainsi que le potentiel de développement des systèmes électriques locaux, l’étude précise que 6 256 aires urbaines, dont 154 métropoles, pourraient être autosuffisantes en énergie, grâce à ces centrales FPV locales. Autre avantage considérable, ces centrales flottantes pourraient permettre de réduire les pertes d’eau par évaporation de 106 km3 d’eau par an, soit environ 2 % de la consommation annuelle totale d’eau dans le monde, estimée à 4 500 km3 par an, ou encore le double de la consommation domestique d’eau de l’Europe et des Etats-Unis.

L’étude souligne que des pays comme le Brésil, l’Inde et la Chine pourraient tirer un immense bénéfice économique et écologique de ces installations en utilisant au mieux la proximité de la majorité des réservoirs avec leurs barrages hydroélectriques. Dernier point important, l’énergie solaire et hydroélectrique se complètent parfaitement, car les centrales hydroélectriques peuvent assurer une production d’électricité la nuit ou lors des journées nuageuses, alors que, par définition, les centrales photovoltaïques ne sont pleinement productives que le jour.

Le potentiel mondial des éoliennes flottantes ne cesse d’être revu à la hausse. Selon les dernières estimations, il dépasserait les 10 000 TWh, soit le quart de la demande mondiale d’électricité prévue en 2025 selon l’AIE. Mais si nous tenons compte de la nouvelle synergie exploitable dans de futurs parcs marins hybrides, associant l’éolien et le solaire flottants, c’est plus de la moitié de la consommation mondiale d’électricité qui pourrait être produite de manière décarbonée et rentable, dès 2040. Et il en va de même pour la France, qui, en raison de son immense domaine maritime, est tout à fait en mesure d’aller bien plus loin que l’objectif actuel de 300 GWH d’électricité offshore en 2050 (25 % de nos besoins en électricité), en faisant le choix d’avenir de réaliser des parcs marins hybrides, associant éolien et solaire flottants. Espérons que notre pays saura faire ce pari technologique et industriel de l’audace et de l’innovation, ce qui lui permettrait d’accéder plus rapidement à la pleine souveraineté énergétique, tout en étant à la pointe mondiale dans la lutte impérieuse contre le changement climatique.

René TRÉGOUËT    Sénateur honoraire   Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat   e-mail : tregouet@gmail.com

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