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À bord de l’Ocean Viking, le navire qui lutte contre le naufrage humanitaire en mer Méditerranée

 

Sur le pont de l’Ocean Viking, 549 personnes sauvées au large des côtes libyennes attendent toujours l’autorisation d’un port européen pour pouvoir débarquer. Reportage à bord du navire.

Samedi 7 août, cela fait sept jours que l’Ocean Viking, le bateau affrété par l’ONG

SOS Méditerranée, a récupéré ses premiers survivants au large de la Libye.

L’alarme a sonné pour la première fois le samedi 31 juillet, au petit matin :

« SAR Team, SAR Team : get ready for rescue », a grésillé la radio. L’anglais

s’impose dans un équipage composé d’Italiens, de Roumains, d’Espagnols,

de Jordaniens… « SAR » est l’acronyme que tout le monde redoute à bord :

des personnes sont en danger. « Search and rescue », recherche et sauvetage,

est l’une des trois missions de l’ONG qui, depuis 2015, sauve, protège et met

en lumière le sort désastreux réservé, aux portes de l’Europe, aux personnes

migrantes.

Pour ce qui est de sauver, l’objectif a été cette fois largement atteint. En six

opérations ininterrompues, sur une durée de 36 heures, l’équipage a tiré 555

personnes de l’eau, dont 253 qui se trouvaient à bord d’une minuscule épave

surpeuplée. Qui sait combien de personnes sont mortes cette nuit-là, tombées

par-dessus bord ou asphyxiées par les vapeurs de l’essence s’échappant de l’embarcation précaire. « Ils expliquent que, si personne ne paye, on te tuera ».

Le deuxième objectif, protéger, est partiellement rempli, mais pour combien de temps encore ? L’indifférence des gouvernements européens n’aide pas. Le navire, normalement habilité à accueillir 280 personnes, en charrie 549, entassées sous un soleil de plomb depuis une semaine. Six ont été évacués en urgence par les gardes-côtes italiens pour des problèmes de santé. Impossible, donc, pour les quatre membres de l’équipe médicale et les trois membres de l’équipe d’assistance sociale et psychologique de prendre soin de tout le monde. Et l’autorisation d’un port européen pour débarquer se fait attendre. Alors, dans le marasme ambiant, des personnes de 21 nationalités différentes font corps et patientent pendant que le navire se laisse dériver au large de la Sicile. Par moment, les tourments vécus pendant le voyage remontent à la surface.

Un Camerounais d’une vingtaine d’années demande

spontanément à « parler au journaliste » pour raconter son

histoire. Après avoir fui son pays, où il n’arrivait pas à joindre l

es deux bouts, il s’est rendu en Libye sur les conseils d’une

connaissance, pensant y trouver du travail. « Là-bas, je suis

resté deux ans en prison. Les noirs y sont considérés comme

une marchandise. Quand on se fait attraper, on est vendu et jeté

dans des centres de détention. Puis, ils appellent ta famille pour

demander une rançon, ils expliquent que, si personne ne paye,

on te tuera. » S’ensuit une série de tortures : pieds humides reliés

à des câbles électriques, gouttes de plastique fondu aspergées

sur le dos nu de la victime. Les parents, à l’autre bout du fil,

entendent les hurlements de leur enfant, mais ne peuvent pas

payer la somme demandée. « J’ai compris que je devrais travailler

pour gagner de quoi satisfaire les gardiens, puis les passeurs

pour prendre la mer. Je ne m’arrêtais jamais, même quand mes

mains me faisaient terriblement mal. Dans notre cellule, les gardiens violaient les femmes et nous forçaient à regarder. Un jour, ils ont donné une arme à mon ami et lui ont demandé de tirer sur d’autres prisonniers. On a tous fermé les yeux. »

Certains auront passé deux mois dans l’enfer libyen, d’autres jusqu’à huit ans. Tapi dans un coin, un mineur camerounais murmure à son tour : « Moi, j’ai été vendu comme esclave à quatorze ans, au Tchad. Je travaillais dans la construction de maisons. » Il en a dix-sept aujourd’hui et rêve encore d’Europe. De l’autre côté du pont, un Syrien de 12 ans continue de jouer entre les cordes malgré les avertissements du médiateur culturel et l’exaspération de ses proches. Son père explique : « Ce gosse est né dans la guerre, il n’a encore jamais rien connu d’autre dans sa vie. Ici, c’est la première fois qu’il reçoit autant d’attention. »

Le Sahara et la mer Méditerranée, affectés par le changement climatique

Avant la prise en charge sur l’Ocean Viking, le voyage semble avoir été d’une longueur interminable. Frontières politiques et naturelles ont laissé des traces indélébiles dans les mémoires. Deux endroits marquent particulièrement ceux qui s’y aventurent : le Sahara et la mer Méditerranée. Deux zones également affectées de plein fouet par le réchauffement climatique.

Cinq jeunes, deux venus de Côte d’Ivoire, deux Nigérians et un Guinéen, racontent leur expérience du désert. « Nous y avons passé deux semaines avec seulement cinq litres d’eau par personne. Aux frontières, nous devions descendre des voitures des passeurs pour marcher, parfois pendant des heures. Une fois, nous avons été abandonnés pendant trois jours sous le soleil, au milieu de nulle part. Beaucoup de nos amis sont morts dans le Sahara. » Et la traversée du désert se fait de plus en plus difficile tous les ans : depuis 1920, sa surface aurait augmenté de 10%. Une expansion qui s’opère principalement vers le sud, dans les pays qui sont déjà les plus touchés par l’émigration de masse. En Afrique subsaharienne, la production agricole pourrait encore être réduite de moitié d’ici 2050, forçant des centaines de millions de personnes supplémentaires à quitter leur domicile.

À bord, un jeune Marocain exhibe avec nostalgie les photos de ses étals de poissonnier, laissés derrière lui, à Casablanca. « Il n’y avait pas d’avenir pour moi au Maroc. J’étais en deuxième année de droit à la faculté, et le soir, je vendais le poisson pour aider ma mère. Mais, même avec cela, impossible de s’en sortir. » Une détresse économique étroitement liée à la surexploitation des richesses de la mer alors que les écosystèmes sont déjà bouleversés par le changement climatique dans cette partie de l’océan Atlantique.

C’est maintenant que tout se joue…

La communauté scientifique ne cesse d’alerter sur le désastre environnemental qui s’accélère et s’aggrave, la population est de plus en plus préoccupée, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale et quotidienne dans le traitement de l’actualité.

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