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ARN Messager...

 

 

Dans mon éditorial du 7 mai dernier ("L'extraordinaire efficacité des vaccins à ARN ouvre une nouvelle ère dans l'histoire de la médecine"), j’ai voulu montrer comment l’arrivée de ces vaccins à ARN, une technologie révolutionnaire à laquelle encore bien peu de scientifiques croyaient il y a encore cinq ans, avait contribué de manière décisive à maîtriser la redoutable pandémie de Covid-19 qui frappe notre planète.

Mais de récentes études et recherches, que je n’ai pas pu évoquer dans mon précédent éditorial, me conduisent à revenir sur ce sujet et à élargir aujourd’hui notre réflexion sur cette rupture scientifique et technologique, pour essayer de vous montrer que cet outil de l’ARN messager, combiné aux nanovecteurs, une autre rupture technologique majeure, va, bien au-delà du Coronavirus, totalement bouleverser à brève échéance la conception, l’efficacité et le champ d’action de l’ensemble des vaccins, entraînant une révolution médicale dont nous ne pouvons pas encore mesurer les immenses conséquences. Mais commençons par faire un peu d’histoire de la médecine.

Il y a 225 ans, le 14 mai 1796, l’immense scientifique anglais que fut Edward Jenner expérimentait avec succès sur un jeune garçon de huit ans, James Philips, ce qui est considéré comme le premier vaccin de l’histoire de la médecine. Il s’agissait en l’occurrence d’un vaccin contre la variole qu’il avait lui-même imaginé et développé. En 1980, à la suite d’une mobilisation scientifique et médicale mondiale sans précédent, la variole était officiellement déclarée éradiquée par l’OMS, devenant ainsi la première maladie infectieuse définitivement vaincue grâce à la vaccination.

En France, chacun a encore à l’esprit les avancées scientifiques majeures que nous devons à Louis Pasteur, et ses brillants élèves et successeurs, Alexandre Yercin, Albert Calmette et Louis Guérin, qui ont développé les premiers vaccins contre la peste et la tuberculose. Aujourd’hui, nous disposons heureusement de nombreux vaccins contre une multitude de maladies infectieuses (Choléra, Tétanos, Diphtérie, Peste, Coqueluche, tuberculose, Fièvre jaune, Grippe, Poliomyélite, Rougeole, Oreillons, Rubéole, Varicelle, Méningite, Hépatite A et B, Gastro-entérite, pour ne citer que les principales) ; plus de 60 vaccins sont disponibles dans notre pays et il n’est pas exagéré de dire que la vaccination est, avec la découverte des antibiotiques par Fleming en 1928, la plus grande avancée médicale de tous les temps. Rappelons simplement trois chiffres incontestables : la vaccination permet de sauver, selon l’OMS, au moins trois millions de vies chaque année ; 23 millions d’enfants ont été sauvés depuis 20 ans, grâce au seul vaccin contre la rougeole et, grâce à la vaccination, le nombre de cas de poliomyélite a été divisé par 100 dans le monde depuis 30 ans, passant de 400 000 à 400 par an…

L’extraordinaire succès, que nous avons récemment évoqué, des vaccins à ARNm de Pfizer et Moderna contre le coronavirus a toutefois occulté toute une série d’avancées remarquables survenues au cours de ces dernières semaines, et qui montrent, comme nous allons le voir, qu’une immense révolution médicale, dont l’ARNm n’est qu’une des dimensions, est en train de bouleverser le concept même de vaccination. Une équipe de scientifiques américains de l’Institut de recherche Scripps vient de publier les résultats concluants de son essai clinique de phase I, destinée à tester l’efficacité d’un vaccin contre le sida, un virus ô combien redoutable, qui mute bien plus vite que le Coronavirus, et contre lequel les scientifiques peinent à mettre au point un vaccin depuis plus de trente ans (Voir European Pharmaceutical Review).

Dans cet essai, 48 adultes ont été recrutés : la moitié d’entre eux à reçu deux doses de vaccin, l’autre partie du groupe a reçu un placebo. 97 % des participants ayant reçu le vaccin ont eu une réponse immunitaire après l’injection : chez eux, la production de cellules immunitaires rares a été stimulée par le produit. Ces cellules sont nécessaires pour que l’organisme puisse fabriquer les anticorps spécifiques permettant de lutter contre le VIH, appelés anticorps neutralisants à large spectre ou bnAbs. « Il y a longtemps que nous postulons que, pour générer des bnAbs, vous devez d’abord activer les bons lymphocytes B, des cellules qui ont des propriétés particulières leur permettant de se transformer en cellules B, productrices de BnAbs », précise William Schief, immunologiste, qui ajoute, « Nous pensons que cette approche est la clé pour créer un vaccin contre le VIH, mais aussi potentiellement d’autres vaccins contre d’autres virus ». Ce chercheur se dit persuadé que cette nouvelle approche peut être utilisée pour concevoir de nouveaux vaccins encore plus efficaces contre la grippe, la dengue, ou encore le virus Zika. La prochaine étape au programme pour ces chercheurs va consister à nouer une collaboration avec la désormais incontournable société Moderna, pour développer un vaccin à ARN messager qui puisse reproduire cette même approche.

Une autre avancée tout à fait considérable, mais qui a reçu trop peu d’échos médiatiques, concerne le paludisme, maladie infectieuse d'origine parasitaire, qui touche environ 230 millions de personnes dans le monde, et en tue encore 400 000 par an, essentiellement en Afrique. Depuis quelques années, il existe un vaccin, le RTS,S/AS01, qui agit sur P. falciparum, l'espèce la plus répandue et la plus agressive du parasite, mais ce vaccin, bien que très utile, ne présente qu’une efficacité limitée, de l’ordre de 55 %. Heureusement, un second vaccin contre le paludisme vient de montrer sa grande efficacité : plus de 75 %, s'approchant ainsi de l’objectif fixé par l'OMS de concevoir un vaccin antipaludique efficace à 80 % d'ici 2025 (Voir SSRN).

Ce nouveau vaccin a été développé par l'Université d'Oxford, en collaboration avec des scientifiques burkinabés. Baptisé R21/Matrix-M, il est composé d'une protéine recombinante spécifique au parasite et d'un adjuvant, le Matrix-M. Les essais cliniques récents, menés auprès de 450 enfants du Burkina Faso, âgés de 5 à 17 ans, ont pu confirmer que ce nouveau vaccin pouvait atteindre, après trois doses et dans sa version la plus concentrée, une efficacité de 77 % pour éviter l'apparition du paludisme. « Nos résultats démontrent des niveaux d'efficacité sans précédent pour un vaccin bien toléré dans le cadre de notre essai. Nous attendons avec impatience la phase III pour présenter des données de sûreté et d'efficacité à grande échelle de ce vaccin plus que nécessaire dans cette région », explique Halidou Tinto, professeur de parasitologie, directeur de l'IRSS à Nanoro (Burkina Faso) et principal collaborateur de cet essai clinique.

Un autre progrès majeur est en route contre la tuberculose, une grave infection due au bacille de Koch (Mycobacterium tuberculosis), qui fait encore des ravages dans le monde. En dépit de nombreuses campagnes de vaccination, plus de 10 millions de personnes contractent encore la maladie chaque année, et 1,4 million en meurent, principalement en Afrique et en Asie du Sud-est. Mais notre pays n’est pas épargné, avec 5 500 nouveaux cas chaque année, entraînant environ 700 décès par an. Contre cette maladie, le célèbre vaccin BCG (Bacille de Calmette et Guérin) est à ce jour le seul vaccin homologué, mais son efficacité reste relative et il permet surtout d’éviter les formes sévères de la maladie chez l’enfant. Mais des chercheurs de l’Université de Saragosse ont mis au point un nouveau vaccin antituberculeux nommé MTBVAC. Après des essais concluants en phase 1 chez l’adulte en Suisse, et chez le nouveau-né en Afrique du Sud, ce nouveau vaccin vient de franchir une nouvelle étape en tant que candidat à la vaccination universelle contre la tuberculose. Des études de phase 2 sont actuellement menées chez des adultes tuberculeux et non infectés et chez des nouveau-nés en bonne santé. Dans ces nouveaux essais, les chercheurs ont administré une dose du vaccin MTBVAC par voie intradermique chez des macaques rhésus, et cette approche a permis de conférer une protection bien meilleure que le BCG contre cette bactérie.

Evoquons également cette avancée, elle aussi très importante, que représente le vaccin expérimental, actuellement à l’essai contre les infections urinaires, une pathologie fréquente qui touche principalement les femmes (deux millions de femmes en France en sont atteintes chaque année). Ces infections se traitent à l’aide d’antibiotiques, mais ces derniers sont de plus en plus confrontés à des phénomènes de résistance bactérienne. Il y a quelques semaines, des chercheurs du centre médical de l’Université Duke aux États-Unis ont annoncé qu’ils avaient mis au point un vaccin, qui s’est avéré efficace chez l’animal, contre la bactérie Escherichia coli, principale responsable de ce type d’infection (Voir Duke Health). « Il n’y a aujourd’hui aucun vaccin efficace contre les infections urinaires, malgré la forte prévalence de ces infections, Notre étude atteste du potentiel d’un vaccin très efficace qui permet à la fois d’éradiquer les bactéries résiduelles présentes dans l’urètre, mais aussi de prévenir les infections » souligne Soman Abraham, auteur principal de la recherche.

Une autre avancée très importante vient d’être annoncée contre l’asthme, une pathologie inflammatoire chronique, pouvant être très invalidante, qui touche plus de quatre millions de personnes en France, et en tue environ un millier chaque année, sans compter les 60 000 hospitalisations annuelles. Dans les cas d’asthme sévère, il faut avoir recours à des traitements lourds et partiellement efficaces : corticoïdes et anticorps bloquant deux molécules clés de l’asthme, les protéines IL-4 et IL-13. Mais les choses sont en train de changer : une équipe de recherche toulousaine du laboratoire Infinity, en collaboration avec l’Institut Pasteur, a expérimenté une approche vaccinale innovante, qui permet à l’organisme de fabriquer des anticorps bloquant l’IL-4 et l’IL-13, afin d’induire une protection durable dans l’asthme (Voir Nature Communications). La tolérance de ce vaccin va prochainement faire l’objet d’une étude clinique visant à déterminer son efficacité chez l’Homme. Elle sera coordonnée par le Professeur Laurent Guilleminault, pneumo-allergologue à l’hôpital Larrey (CHU de Toulouse) avec une cohorte de patients recrutés à Toulouse, Suresnes (hôpital Foch) et Strasbourg (CHU de Strasbourg). « A terme, le but de ces recherches est bien de mettre en place une démarche préventive sur les populations à risque de développer une forme sévère d’asthme », précise le Professeur Laurent Guilleminault qui dirigera cette étude.

Dans ce festival d'innovations prometteuses, il faut évoquer à nouveau Moderna, qui décidemment fait feu de tout bois, et vient d’annoncer des données intermédiaires positives d'un essai de phase 1 d'un candidat vaccin contre le virus respiratoire syncytial (VRS), ainsi que des données positives d'un essai de phase 2 de son candidat vaccin contre le redoutable cytomégalovirus (CMV), responsable notamment de l’herpes.

C’est dans ce contexte que deux articles récemment parus dans les prestigieux Nature et Science appellent à une mobilisation immédiate des gouvernements, de l’industrie et de la communauté universitaire pour développer le plus tôt possible des vaccins capables de neutraliser l’ensemble des coronavirus, et reposant sur l’utilisation d’ anticorps neutralisant un large spectre du coronavirus, incluant les SARS, MERS et ceux responsables de rhumes saisonniers. Or, ce concept de vaccin universel anti-COVID-19 progresse à grand pas : des chercheurs de l'Université Duke (Caroline du Nord), sont en train d’expérimenter un vaccin permettant de bloquer le coronavirus SARS-CoV-2, ainsi que ses variants, et d'autres coronavirus (Voir Duke Today). Ces chercheurs ont réussi à construire des nanoparticules de ferritine hérissées à leur surface de 24 séquences RBD. Le domaine RBD (Receptor Binding Domain), correspond à la région de la protéine spike du coronavirus qui interagit avec le récepteur cellulaire ACE2, pour cibler des anticorps à large spectre. Ces scientifiques ont également pu montrer que ces nanoparticules se lient au récepteur cellulaire humain ACE2, cible du coronavirus, et qu’elles provoquent bien la production d’anticorps spécifiques anti-RBD chez l’animal.

Les chercheurs ont ensuite comparé ces anticorps avec ceux obtenus après l’immunisation de macaques par des nanoparticules identiques à celles retrouvées dans un vaccin ARN, c’est-à-dire contenant un ARN messager codant la protéine spike. Ils ont alors constaté, qu’après vaccination, le niveau d’anticorps était plus élevé avec des nanoparticules porteuses de multiples RBD qu’après l’immunisation avec de l’ARN messager encapsulé dans des nanoparticules lipidiques. Cette approche permettrait donc à la fois une protection contre le SRAS-CoV-2, et la production d’anticorps capables de neutraliser les différents variants du Covid-19, ainsi que de nombreux autres coronavirus.

En décembre dernier, une autre équipe de la prestigieuse école de médecine du Mont Sinai de New York a présenté un vaccin, qui induit une réponse immunitaire contre de nombreuses souches de virus de la grippe (Voir Nature Medicine). Le vaccin actuel contre la grippe cible un antigène appelé hémagglutinine (HA), situé à la surface du virus et qui subit fréquemment des mutations. Il faut donc reformuler le vaccin chaque année, à partir des souches circulant dans les différentes régions. C'est pourquoi, depuis plus de 20 ans, les scientifiques essayent sans succès de développer un vaccin universel contre la grippe, qui pourrait échapper aux mutations du virus de la grippe.

Le vaccin saisonnier contre la grippe est dit « trivalent » parce qu’il est composé des souches dominantes des sous-types H1 et H3 du virus influenza A et de la souche dominante du virus influenza B en circulation. Lorsque la composition du vaccin a été fixée, en fonction des souches circulantes, les laboratoires pharmaceutiques disposent d’environ six mois pour produire ces vaccins et les mettre sur le marché à l’automne. Mais, comme nous avons tous pu le constater, il arrive malheureusement que ce vaccin ne contienne pas la bonne souche circulante au moment de la vaccination. Dans ce cas, son efficacité est sensiblement réduite. Mais ces nouveaux essais chez 65 participants aux États-Unis ont montré que ce candidat-vaccin universel produisait une forte réponse immunitaire qui a duré au moins 18 mois après la vaccination. Forts de ces bons résultats, les chercheurs vont poursuivre leurs essais cliniques sur de plus vastes populations pour mieux évaluer l’efficacité « sur le terrain » de ce vaccin universel qui pourrait être disponible d’ici quelques années.

Finissons ce rapide tour d’horizon des progrès en cours en évoquant les derniers résultats très encourageants de plusieurs vaccins dits « thérapeutiques », contre le cancer (C’est-à-dire des vaccins qui ne sont pas destinés à prévenir la maladie mais à la combattre de façon très ciblée en mobilisant le système immunitaire). Une équipe de recherche de l'école de médecine du Mont Sinai, à New York, vient de présenter, à l’occasion de la rencontre annuelle de l’Association américaine contre le Cancer (AACR), ses premiers résultats très encourageants  d’essais cliniques de phase I (Voir EurekAlert). Dans ces essais, les patients, après la délivrance d’un traitement anticancéreux classique, ont bénéficié de dix doses d'un vaccin personnalisé sur une période de 6 mois. Non seulement ces vaccins anticancéreux personnalisés n'ont pas entraîné d’effets secondaires graves, mais ils ont montré des effets positifs chez les participants de cet essai clinique de phase I atteints de différents cancers, dont le cancer du poumon et de la vessie, 2 cancers à risque élevé de récidive.

Evoquons enfin les remarquables recherches révélées il y a quelques jours par des chercheurs du Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM). Ces scientifiques sont en train d’expérimenter, eux-aussi, un vaccin thérapeutique personnalisé contre le cancer. Celui-ci associe des virus oncolytiques, modifiés en laboratoire, et des peptides, de petites molécules synthétiques, spécifiques au cancer ciblé (Voir Nature Communications). Cette approche très prometteuse permet d’attaquer le cancer sur deux fronts : d’abord avec les virus oncolytiques qui visent à éliminer directement les cellules cancéreuses, puis avec des peptides synthétiques qui vont venir mobiliser le système immunitaire pour qu'il détruise spécifiquement les cellules malignes. « Les virus oncolytiques que nous utilisons sont capables de directement cibler et détruire le cancer ; nous avons donc conçu un vaccin qui induit une réponse immunitaire contre chaque cancer, mais peut aussi directement cibler et détruire le cancer » souligne la professeure Bourgeois-Daigneault, qui dirige ces recherches. Cette approche présente également l’avantage de ne nécessiter aucune modification génétique des virus, car la combinaison des peptides synthétiques et des virus oncolytiques permet de cibler potentiellement tous les cancers.

On le voit, cette nouvelle vague de vaccins, associant et combinant ARNm, nanoparticules et peptides synthétiques, est non seulement appelée à se substituer, bien plus rapidement que prévu, aux vaccins actuels, en apportant une efficacité encore accrue contre de nombreuses maladies infectieuses (et en réduisant encore les effets indésirables), et une souplesse de conception et de production incomparable, mais va également étendre de manière considérable le champ d’application préventif (ou thérapeutique pour les cancers) des vaccins, en s’attaquant à de nombreuses et meurtrières pathologies infectieuses, mais aussi inflammatoires et cancéreuses.

Dans moins de dix ans, cette nouvelle génération de vaccins, dont certains seront universels et efficaces contre toutes les formes du pathogène ciblé, vont permettre à l’Humanité d’accomplir un nouveau pas de géant en matière de prévention et de lutte contre les maladies les plus répandues et plus mortelles. Dans un tel contexte, il est évidemment capital pour notre avenir que la France, pays de Pasteur et de Yercin, jette sans tarder les bases d’un nouveau et puissant pacte de recherche entre sa recherche fondamentale, qui reste au plus niveau, et doit garder un horizon à long terme, et son industrie pharmaceutique, afin de rester dans cette course scientifique et technologique planétaire qui va bouleverser nos vies et nos sociétés.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire / Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat / e-mail : tregouet@gmail.com

François Chartier

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