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Cynthia Fleury

 

Vit à Paris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psychanalyste et philosophe française, enseigne la philosophie politique (en qualité de research fellow et associate professor) à l'American University of Paris 3, est également chercheur associé au Muséum national d’histoire naturelle.

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Existe-t-il un courage politique ? 

Une définition que l'on peut lire dans ce bel article du "Monde"... dont on se méfie aujourd'hui...

Et toujours ne notre amie Cynthia cette réflexion que nous vous proposons de lire en suivant ce lien :  http://www.philomag.com

"Le courage est d'abord un acte raisonnable"

Recueilli par Céline Hoyeau, le 25/03/2018  
 

ENTRETRIEN La philosophe Cynthia Fleury (1) revient sur le geste héroïque du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame.

Elle souligne combien le courage se fabrique collectivement même s’il se vit d’abord à l’intérieur de soi.

Devant la caserne de gendarmerie de Carcassonne, samedi 24 mars, des personnes sont venues rendre hommage à Arnaud Beltrame.

La Croix : Que vous évoque la mort du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, le fait qu’il ait échangé sa vie contre celle d’une otage ?

Cynthia Fleury : Que le courage est encore une valeur très importante pour les forces de l’ordre. Ce n’est pas n’importe quel homme, mais un individu qui a choisi de servir son pays. Cet homme n’était pas inconscient, il a agi en pleine connaissance de ses capacités, considérant que c’était à lui de le faire et qu’il en avait possiblement la force.

Il a d’ailleurs tenté pendant plusieurs heures de négocier avec le terroriste. La fin aurait pu être différente. Ce gendarme avait été entraîné, il avait déjà fait un exercice de ce calibre. Son acte est d’abord le fruit d’une réflexion, ensuite celui de penser qu’il a les moyens de changer les choses, et enfin que c’est son devoir en tant que gendarme.

Aussi, je ne pense pas qu’on puisse parler de geste sacrificiel, c’est un geste de protection de la vie d’autrui et, en ce sens, un geste d’un très fort engagement civique, démocratique et militaire. C’est en dernière instance l’espérance, l’espoir, la possibilité d’une issue autre qui le guide et non pas un renoncement à la vie.

Avec la prise en compte de la possibilité de sa mort…

Cynthia Fleury : Oui, il est conscient qu’en courant ce risque, il va sauver la vie d’une jeune femme. C’est un acte qui relève du don de soi. Certes, il est mû par le sentiment d’une charge, presque de dette envers soi et envers la société, mais en dernière instance, personne ne l’y oblige et personne ne l’aurait accusé de quoi que ce soit s’il ne l’avait fait.

Sauf sans doute que lui-même n’aurait pas supporté d’avoir failli. C’est une décision de son intime conscience, qu’il a prise seul. C’est pour cela que le courage est à la fois quelque chose que nous fabriquons collectivement et qui se vit d’abord à l’intérieur de soi.

 

Devant un tel geste, chacun est renvoyé à sa conscience… Aurais-je fait de même ? Est-ce qu’on s’entraîne au don de soi ou bien est-ce inné ?

Cynthia Fleury : Oui, il faut s’entraîner au courage, cela s’apprend. Le courage n’a rien d’un acte intempestif voire seulement instinctif. C’est d’abord un acte raisonnable. Ce n’est pas du tout une absence de conscience du risque mais au contraire une haute conscientisation du risque. Et, malgré cela, on décide de considérer que le risque doit être pris pour préserver un idéal supérieur, des vies… Bien évidemment, ce courage est porté par une culture, des valeurs, tout ce qu’on appelle l’esprit de corps dans l’armée, la gendarmerie.

Ce courage s’apprend jour après jour ?

Cynthia Fleury : Oui, il y a ce qui s’est joué pour le lieutenant-colonel, un acte exceptionnel, héroïque, qui met en cause la vie. À cet instant-là il sait véritablement qu’il peut mourir, et puis il y a des actes plus ordinaires, où ce qui est convoqué, ce n’est pas le réel de la mort, mais la mort sociale, le risque de se faire mal, ou des risques moindres mais qui demandent d’être pris pour préserver une qualité de vie, un lien avec la communauté, des valeurs. À l’exemple de ceux qui ont organisé avec leurs moyens la sortie des otages de la supérette…

Il ne faut pas croire que la seule manière d’avoir du courage c’est d’être héroïque. Tous les héros ont eu du courage mais tous les courageux ne sont pas nécessairement des héros. Et nous avons besoin des deux dans notre société.

Dans son cas, on peut penser que le courage d’Arnaud Beltrame s’est appuyé sur sa foi…

Cynthia Fleury : Dans le courage, il y a un rapport à la transcendance, qu’elle soit sacrée ou profane : l’amour porté à autrui est aussi une forme de transcendance, bien sûr, la foi est une transcendance spirituelle, religieuse. Dans tous les cas, cela appelle à quelque chose de plus grand que soi.

Il allait se marier religieusement et malgré tout, il a risqué sa vie…

Cynthia Fleury : On peut supposer que son amour l’ait porté, qu’il lui a donné précisément une force incommensurable pour assumer ce en quoi il croyait. Bien évidemment, personne n’a la maîtrise de son destin. Et réduire son acte au fait qu’il ait sacrifié son amour au nom d’un idéal plus collectif me paraît être une façon erronée de présenter son acte.

Un tel acte est-il à la portée de tout le monde ?

Cynthia Fleury : C’est tellement antinomique des sociétés

actuelles fondées sur le calcul rationaliste coût-bénéfice.

Un tel geste, dans une approche capitalistique, où personne

ne donne sa vie pour rien, n’a pas de sens. Or nous

redécouvrons qu’il n’est pas inutile, sacrificiel ou obsolète,

mais il défend un idéal qui inspire le respect, la dignité,

l’humilité. Ce n’est pas parce que nous sommes dans des

temps en apparence de paix et de démocratie que le

courage est une vertu obsolète. Au contraire, le courage

est sans doute la première vertu démocratique.

Notre société a besoin d’exemples comme celui-ci mais

nous ne pouvons pas nous reposer sur le seul sacrifice des

plus valeureux d’entre nous. Il faut bien évidemment célébrer

, respecter sa mémoire, mais voir aussi comment nous

essayons collectivement de fabriquer une telle exemplarité.

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