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Attali ou Confucius

Par Bruno Guigue / 2 mai 2020, 11 h 30 

Il va tout de même falloir se demander pourquoi les pays d’Asie, dans l’ensemble, font

face à la pandémie avec davantage d’efficacité que les pays occidentaux. Les raisons en

sont politiques, bien sûr, les États socialistes comme la Chine et le Vietnam étant de loin

ceux qui s’en sortent le mieux. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils ont pris la mesure

du phénomène avant les autres, et que l’État a refusé d’arbitrer entre sauver des vies et

sauver des points de croissance.  Pendant ce temps, les pays capitalistes prônent

l’immunité collective, c’est-à-dire l’euthanasie des faibles et des vieux, comme l’a avoué le

vice-gouverneur du Texas, véritable génie politique qui s’est fait le porte-parole du

malthusianisme néolibéral et le digne héritier spirituel de Jacques Attali, chantre de

l’euthanasie des anciens et de la société sans retraite. Au moins c’est clair.

Mais la politique n’explique pas tout, du moins en Asie, et c’est ce que montre le débat sur

le port du masque. Ce qui est fascinant, en effet, c’est sa dimension anthropologique.

Car cet ustensile, comme on le sait, n’a aucun intérêt immédiat pour l’individu qui le porte.

Il ne sert pas à se protéger, mais à protéger les autres. C’est pourquoi on l’utilise depuis longtemps dans les pays de tradition confucéenne.

En Chine, au Vietnam, et dans les pays d’Asie marqués par cette conception éthique vieille de 2500 ans, la collectivité prime sur l’individu. Ou plutôt, l’individu n’existe que comme produit social. Comme dit le philosophe chinois Zhao Tingyang, “la coexistence précède l’existence”. Autrement dit, l’être n’est pas substance mais relation.

J’entends déjà les cris d’horreur des individualistes forcenés et des libertaires de tous poils, mais ce n’est pas parce qu’ils croient à des chimères que le réel va se plier à leurs désirs. Car si l’individu se croit libre, il n’existe en réalité que comme tissu de relations sociales, la qualité de son existence individuelle dépendant de la qualité de ses relations sociales et de rien d’autre. Marx l’avait d’ailleurs remarquablement mis en lumière, mais on ne va quand même pas demander de lire l’auteur du Capital aux bobos parisiens qui croient accomplir un acte révolutionnaire en bravant l’interdiction de sortir de chez soi pour danser sur Dalida. C’est peine perdue.

Le dernier aspect de la question, et peut-être le plus important, c’est la dimension rituelle du port du masque, comme illustration de ce dont les sociétés asiatiques sont capables, et dont nous sommes, nous, incapables. Un rite, dans l’éthique confucéenne, n’est pas un geste purement formel que l’on accomplit par une sorte de soumission aveugle à des règles surannées. “Les rites, dit Confucius, c’est ce qui met de l’ordre dans ce qu’on fait”. La ritualisation de la vie sociale a pour vertu de discipliner les comportements en regard du bien commun, elle éduque, oriente et civilise. Ce n’est pas un hasard, non plus, si les rites s’ordonnent à cette conception fondamentale de la société chinoise comme élargissement de la famille, noyau et paradigme de toutes les relations inter-humaines, et si de cette conception le culte des ancêtres est la source vive, celle qui relie entre elles, d’un fil invisible, les générations successives.

Qu’il s’agisse du culte des ancêtres, des liturgies funéraires, des fêtes familiales, sociales ou patriotiques, la forme des rites est inculquée aux individus pour les mettre en capacité de remplir leurs obligations. Le ritualisme repose sur cette idée, très profonde, que la bonne conduite ne peut venir que de pratiques répétées. Comme le respect dû aux anciens, dont il est la conséquence logique puisqu’il s’agit de protéger nos aînés, le port du masque fait partie de ces rituels sociaux qui signalent une collectivité responsable. Les sociétés asiatiques ont fait ce choix depuis longtemps. A nous de faire les nôtres, en nous demandant si nous voulons une société qui euthanasie les anciens ou une société qui les honore.

C’est Attali ou Confucius.

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