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Compensation carbone et labellisation des projets :
attention à la confusion !

Dans la course à la neutralité carbone, annoncée par de

nombreuses entreprises, la compensation va être très sollicitée.

Une quinzaine d'acteurs du secteur alertent sur le risque de

greenwashing et l'importance de la crédibilité des projets.

16 septembre 2020  |  Actu-Environnement.com

   

16 acteurs de la compensation carbone

   

L'année 2020 a confirmé l'engouement fort des acteurs

privés pour la lutte contre le changement climatique

observé en 2019. Ainsi, pas une semaine ne se passe

sans qu'une entreprise n'annonce sa volonté de devenir 

neutre en carbone. Pour atteindre cet objectif, elle

s'engage à réduire ses émissions et – dans des

proportions plus ou moins fortes – à « compenser »

ses émissions résiduelles en finançant des projets de

terrain visant à réduire les émissions de GES ou à 

séquestrer le carbone, tels que la plantation d'arbres,

la meilleure gestion des forêts ou des prairies, ou encore

la production d'énergie renouvelable. Dans la plupart des

cas, les réductions d'émissions réalisées grâce à ces

projets sont certifiées par des labels carbone tels que le Label Bas Carbone en France, créé par le Ministère de la transition écologique et solidaire, le Woodland Carbon Code au Royaume-Uni ou encore les labels privés Gold Standard et Verra à l'international.

Les engagements de neutralité carbone des entreprises et la compensation ont toujours suscité de vives critiques, et la compensation est parfois qualifiée de « droit à polluer ». Ces craintes sont incarnées par certaines entreprises qui font évoluer à la marge leur modèle économique, réduisent peu leurs émissions et misent essentiellement sur la compensation, et qui sont par conséquent accusées de greenwashing. Plus largement, c'est le concept même de neutralité carbone à l'échelle d'une entreprise qui est remis en cause : une entreprise fortement émettrice peut par exemple se déclarer « neutre » dès aujourd'hui, même si son activité est incompatible, à terme, avec la protection du climat.

Valoriser la qualité des projets de terrain

Ces critiques, qui alertent sur les potentielles fragilités des démarches des entreprises autour de la compensation, sont légitimes, même si bon nombre d'acteurs affichant une neutralité carbone ont entamé une réelle transition vers la décarbonation de leur économie. Mais elles portent sur la démarche et la communication des entreprises, et ne doivent pas être utilisées pour jeter par la même occasion le discrédit sur les projets de terrain financés, les labels qui certifient leur qualité et le principe même de certification. Evitons absolument les amalgames entre les démarches des financeurs et les projets qu'ils financent ! Cette confusion serait anecdotique si elle n'était pas dangereuse : elle pourrait mettre à mal les efforts entrepris depuis de nombreuses années pour faire émerger des projets de terrain et pour s'assurer que chaque euro dépensé au nom du climat permette réellement de contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique.

En effet, ces labellisations carbone sont issues de processus collégiaux impliquant de nombreux experts des secteurs dans lesquels elles interviennent, et ont un cahier des charges nécessairement imparfait mais déjà rigoureux, toujours transparent et en amélioration constante. En les remettant en cause, cet amalgame observé parfois met au même niveau des initiatives de qualité hétérogène, avec de très bons mais parfois aussi de mauvais projets, qu'il sera difficile d'évaluer et de comparer. On risque ainsi de laisser la part belle aux initiatives « boîtes noires », proposant des projets à fort impact affiché sur le climat, mais sans que cet impact ne soit évalué de manière transparente et sans que les projets puissent être facilement comparés entre eux. Or, ce n'est pas le métier des entreprises que d'évaluer elles-mêmes ces offres commerciales, et les moins scrupuleuses auront beau jeu de profiter de la méfiance créée autour des labels et des projets dits « carbone » pour aller vers le moins-disant, c'est-à-dire des projets non certifiés dont l'impact environnemental n'est pas garanti, sans se priver néanmoins de communiquer sur la neutralité carbone ou l'atteinte d'un objectif climatique.

Poursuivre le renforcement des labels

La seconde conséquence concrète d'une remise en cause de la labellisation carbone est qu'elle nous prive d'instruments et d'une expertise qui sont utiles pour garantir la qualité de financements, autres que ceux consentis par des entreprises pour compenser leurs émissions. Car le champ d'action de la certification en effet ne se limite pas forcément à la compensation. Déjà aujourd'hui, des labels sont utilisés par des entreprises qui veulent soutenir des projets en dehors de toute logique de compensation, pour contribuer à l'effort climatique collectif par exemple. Des collectivités locales peuvent aussi y avoir recours quand elles créent des fonds carbone ou qu'elles cherchent à flécher des financements vers des projets vertueux. Et demain, ce sont peut-être les subventions publiques de la Politique Agricole Commune qui seront conditionnées à une certification carbone des actions entreprises par les agriculteurs : la Commission vient de lancer les réflexions à ce sujet.

Les labels carbone ne sont pas parfaits, loin de là. Même les plus rigoureux doivent être continuellement améliorés, intégrer progressivement les avancées de la science, réduire leur complexité et leurs coûts de mise en œuvre. C'est pourquoi ils ont besoin de l'implication de toutes les parties prenantes et de leurs critiques constructives pour évoluer. Mais, pour dire les choses de manière triviale, il serait regrettable de jeter le bébé avec l'eau du bain, autrement dit de confondre la labellisation des projets d'une part, la compensation et les démarches de neutralité carbone des entreprises d'autre part. S'il est indispensable et urgent d'assurer l'ambition et la crédibilité des stratégies climat des entreprises, nous avons également besoin de financer mieux et plus d'innombrables projets de terrain dans des secteurs aujourd'hui trop peu acteurs de la transition bas carbone et trop peu considérés par les politiques publiques, au premier rang desquels les secteurs agricoles et forestiers. L'entrée dans ces démarches de labellisation carbone permet par ailleurs souvent aux acteurs de terrain de monter en expertise sur l'estimation des impacts climatiques et environnementaux de leurs actions et de sensibiliser les acteurs économiques.

La labellisation permet de garantir la qualité de ces projets sur la base des connaissances actuelles et d'attirer des financements nouveaux, publics comme privés. Grâce à elle, nous maximisons les bénéfices de ces financements pour le climat. Et à l'heure où les pays à travers le monde entrent en récession, elle constitue un atout à préserver.

Tribune collective signée par :

  • Maximin CHARPENTIER, Président, Terrasolis

  • Anna CRETI, Directrice, Chaire Economie du Climat

  • Philippe DELACOTE, chargé de recherche, Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

  • Jean-Baptise DOLLE, Chef du service environnement, Institut de l'Elevage

  • César DUGAST, Pilote de la pratique Neutralité Carbone, Carbone 4

  • Claudine FOUCHEROT, cheffe de projet forêt agriculture et climat, I4CE, Institut de l'Economie pour le Climat (I4CE)

  • Julia GRIMAULT, cheffe de projet forêt agriculture et climat, I4CE, Institut de l'Economie pour le Climat (I4CE)

  • Morgane HENAFF, Pilote du pôle transition bas carbone de l'agriculture, Agrosolutions

  • Claire HUBERT, Directrice Générale, Centre Nationale de la Propriété Forestière (CNPF)

  • Matthieu JOUSSET, Directeur du pôle « Action Carbone Solidaire », Fondation GoodPlanet

  • Edouard LANCKRIET, Pilote du pôle transition bas carbone de l'agriculture, Agrosolutions

  • Arnaud LEROY, Président, Agence de la transition écologique (ADEME)

  • Gérald MARADAN, Co-fondateur et Directeur, Ecoact

  • Bertrand MUNCH, Directeur Général, Office National des Forêts (ONF)

  • Jean-Pierre RENNAUD, Président du Conseil Scientifique, Planet A®

  • Edouard LANCKRIET et Morgane HENAFF, pilotes du pôle transition bas carbone de l'agriculture chez Agrosolutions

Les points de vue exprimés dans les chroniques n'engagent que leurs auteurs et ne constituent pas une prise de position ou un soutien de la rédaction d'Actu-environnement.

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