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Maddalena RODRIGUEZ-ANTONIOTTI en Terre de Chypre...

1. Pour que nos lecteurs vous connaissent un peu……… 

Je serais tentée de répondre que je suis fille de la Corse et de mai 68. Voilà qui est, probablement,

« simplement compliqué ». J’ajouterai donc qu’après avoir vécu à Paris jusqu’à l’âge de 25 ans, j’ai choisi de

quitter la ville pour venir vivre dans un village, en Corse, terre natale de mes parents. Historienne de formation

, j’ai la chance d’y être devenue peintre, photographe et essayiste. J’ai œuvré dans notre île et je m’y suis

engagée durant plus de quarante ans. Depuis peu, je réside dans le Sud-Ouest (dont mon mari est originaire),

 dans un village proche de Libourne. Mais le cordon ombilical n’est pas coupé (le pourrait-il ?!) et,

avec mon petit-fils, je retourne bien sûr en Corse une à deux fois par an.

 

2. Depuis quand écrivez-vous ?

Depuis longtemps, si j’en juge par les notes que je griffonne sur des bouts de papier et dans des carnets qui ne me quittent pas. Vous savez, les idées se perdent vite et les images davantage encore. Alors j’assure mes arrières ! J’y ai consigné les mille et une façons dont je compose une couleur, les circonstances de mes prises de vue photographiques, le déroulé d’un voyage et j’y consigne toujours des tas d’idées, d’images, de commentaires, de phrases lues etc que je mets « au propre » parfois sur l’ordinateur. Côté peinture ou gravure même, mes variations abstraites m’ont amené à « tricoter » les alphabets de la Méditerranée. J’écris donc sans cesse. Mais pour répondre plus précisément à votre question, j’ai éprouvé le besoin de faire trace avec un « vrai » livre au moment où le « Parcours du regard » a pris fin. C’était une manifestation d’art contemporain que j’avais initiée et dirigée à Oletta durant plusieurs années et dont la réputation avait très vite franchi les frontières de l’île. Ce premier ouvrage Comme un besoin d’utopie est ainsi paru aux éditions Albiana en 2005.

 

3. Y a-t-il un côté vécu dans votre ouvrage ?

Pour ce livre qui vient de paraître sur Chypre, le côté vécu transparaît dans le souci qui est le mien des paysages de la terre. Je parle de paysages travaillés, nourriciers, dessinés de main et de peine d’homme depuis la nuit des temps. Ils sont tenus pour des paysages « de peu » comme on dit les gens de peu alors même qu’ils font aussi qu’un pays est un pays. Ce qu’on oublie trop volontiers. Et si mon insistance est manifeste à propos de ce coin de cosmos qu’on appelle Terre (Restez fidèle à la terre, disait Nietzsche !), qu’on appelle Corse ou Chypre, c’est que mon tropisme paysager vient de loin. Mes parents corses, exilés après-guerre à Paris, n’étaient pas de ces citadins à qui le monde ne parle plus. Elle, fille de berger, lui, fils de paysan, avaient vécu en continuant « comme avant », comme dans leur île natale où ils se croyaient assurés de retrouver un petit jardin, des figues, du fromage et trois ou quatre bons amis. Leur version du paradis.

 

4. Pourquoi Chypre comme choix ?

Chypre est l’aboutissement d’une démarche de longue haleine entamée en 2008 avec la Corse (mon port d’attache) et poursuivi avec la Crète. Toujours avec l’idée que le paysage est porteur des intentions et des décisions d’une société. De ce point de vue là, Chypre, tout comme la Corse et la Crète, présente un trait et même un symptôme commun aux îles de Méditerranée, celui d’avoir choisi le tourisme comme destin. Si les choses ne prennent sens que mises en relation les unes aux autres, que comparées les unes aux autres, après la Corse et la Crète, qu’en était-il donc « en Chypre », un territoire grosso modo de même superficie que la Corse ou la Crète ? Qu’en était-il d’une « banlieue » de l’Europe, campée aux portes de l’Orient mais quasiment ignorée (ou du moins méconnue) dans l’Hexagone ?

 

5. Est-ce un travail solitaire ou d’équipe ?

Un travail bien entendu solitaire pour l’écriture. Pour ce qui est des prises de vue, la présence de mon mari m’a été précieuse. Il m’a utilement servi de chauffeur notamment lors des repérages « derrière la vitre ». Car il n’est pas inutile de rappeler que l’île de Chypre est restée sous domination britannique de 1878 à 1960. Entre autres traces d’une « anglomanie » : la conduite à gauche ! Yves m’a également accompagnée sur tous les chemins de terre que j’ai empruntés en portant le matériel (bouteilles d’eau, appareil de rechange, pied, films, brossettes etc). C’est que j’avais délibérément adopté  un dispositif photographique un peu risqué : un Voigtländer « de rien du tout » datant de 1938 dont m’avait fait don un vieux cousin du Niolu mais qui ne m’obéissait pas « au doigt et à l’œil » ! Lorsque l’on sait que tous les réglages (notamment) se font manuellement, (je pense aussi à ma chambre noire), on comprendra que l’argentique puisse être une sacrée discipline. Voire même une ascèse !

 

6. Comment sur ce point votre travail s’est-il articulé ?

Photographier n’est jamais neutre, parler d’une île comme Chypre non plus. Elle est probablement le pays européen à l’histoire la plus riche, la plus contrastée, la plus difficile. Un cas d’école. Et faut-il rappeler que depuis 1974, ce territoire est coupé en deux par une ligne de démarcation, sa capitale même, partagée par murs et barbelés ? Sans mésestimer, loin de là, cette tragédie, j’ai décidé de lire l’île comme un tout, comme un pays en tant que tel. Je l’ai donc sillonnée de part en part durant plusieurs semaines, hors saison estivale il va de soi ! A cause de la conduite à gauche et quelques autres raisons (au nord, par exemple, les panneaux de signalisation s’affichent uniquement en langue turque), l’exploration de Chypre (aussi bien dans la zone tampon contrôlée par l’ONU) ne fut pas de tout repos. Et même si j’ai tenu « sur le vif » un journal de bord, le travail d’écriture n’est venu qu’ensuite. Accompagné de nombreuses lectures. Comme un second voyage. Immobile cette fois. Et tout aussi passionnant.

 

7. Y a-t-il des liens entre nos deux îles ?

Si vous entendez par là, des relations qui existeraient entre la Corse et Chypre, à ma connaissance, il n’y en a guère. Excepté l’existence d’un groupe d’amitié France-Chypre à l’Assemblée nationale auquel Jean-Félix Acquaviva (comme vous le savez, député de Haute-Corse) appartient. Ce groupe ne dispose d’aucun budget, ni de structure, il n’a pas non plus d’équipe administrative particulière. 

 

Si votre question fait allusion à des points communs, oui, des mécanismes sont en action en Corse qui le sont également à Chypre, de manière plus redoutable encore. Là, comme ailleurs, La terre nourricière devient une souricière. Même si, de toutes les îles de Méditerranée, Chypre est la seule à posséder sa capitale au milieu des terres, l’essor brutal du tourisme a néanmoins entraîné un spectaculaire déménagement du territoire et une spéculation foncière sans précédent. Une rivalité dévastatrice est désormais à l’œuvre entre le littoral et l’intérieur, entre villes et campagnes, entre oligarchie financière et paysannerie précaire. Que ce soit en République de Chypre (au sud) ou en République turque de Chypre Nord.

 

8. Quel est votre prochain projet ?

Entre autres, une trilogie strictement littéraire cette fois : Récits des années 70 du 20ème siècle. J’ai achevé le Livre 1 intitulé Rien que des hommes. Je l’ai adressé à des maisons d’éditions hexagonales. Ai-je une quelconque chance qu’il soit accepté ? Je n’en sais fichtre rien. Vous ne l’ignorez pas : le monde de l’édition est très fermé et sans introduction, ne serait-ce qu’être considérée (lue ?!) est/sera une vraie loterie. Et pui, se référer d’une quelconque manière à Mai 68 et aux années qui ont suivi (effervescentes à plus d’un titre), ce n’est pas le ticket gagnant ! Quoi qu’il en soit, j’ai mis en chantier le Livre 2. Pour parler comme Beckett (en 1966 !) : « si on se donne tout ce mal fou, ce n’est pas pour le résultat, mais parce que c’est le seul moyen pour tenir le coup sur cette foutue planète ! »

 

9. Un dernier mot pour conclure…

Je reviendrai à notre île. Les Crétois ou les Chypriotes (mais les Crétois surtout) me demandaient fréquemment si la Corse était plus belle que la Crète. Comme les Anciens (les très Anciens !), je puis à présent sans hésitation l’affirmer : la Corse (la fameuse Kalliste antique) est bien la plus belle !

Sur ces mots enchanteurs, se termine ici cet entretien avec Marie-Madeleine, mais allez à sa rencontre vous ne serez pas décu.e.s...

La rédaction de Media Corsica...

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