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INTERVIEW :  LE FILS DE LA NATION

 

Question : Ange-Mathieu Mezzadri, nos lecteurs vous connaissent en tant qu’auteur. Pouvez-vous néanmoins nous livrer quelques éléments biographiques ?

Réponse : Je suis médecin et écrivain. En tant que médecin, bien que longtemps praticien attaché dans un service de médecine interne, j’ai surtout exercé en médecine du travail et en santé sociale. Concrètement, ma spécialité dans la spécialité est le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés.

 

Question : Est-ce que le fait d’être médecin a influencé votre écriture ?

Réponse : Je pense que oui, mais moins du point de vue du style que de l’inspiration. Ma spécialité m’a fait découvrir toutes sortes de métiers, toutes sortes de situations et surtout toutes sortes de parcours individuels. Cela m’a fourni tout un matériau dans lequel j’ai puisé et continue à puiser.

 

Question : D’où le côté vécu de vos livres ?

Réponse : J’ai toujours voulu éviter - selon moi - un piège ; à savoir que le lecteur à la fin de sa lecture se dise : « Bon, c’est une histoire, mais cela ne peut pas être vrai dans la réalité ». Je veux d’autant plus éviter ce traquenard que mes thèmes sont, dans Marches Forcées et dans Lettres à la Femme de l’Autre, des descriptions psychologiques qui - me dit-on – sont perturbantes du fait des interrogations qu’elles suscitent.  

 

Question : Avec votre dernier livre, Le Fils de la Nation, vous avez changé diamétralement de registre et vous êtes engagé dans une pure fiction.

Réponse :  En l’occurrence, il s’agit de politique-fiction.  Mais je crains fort (rires) que la réalité du « pays ami » dépasse la fiction de mon roman. Commentant du reste une interview au sujet de mon livre, un célèbre politologue corse m’a fait ce commentaire que je vous cite : « Très juste : l’effondrement de la France est de facto une vraie question pour la Corse ».

 

Question : Est-ce l’axe central de votre roman ?

Réponse : D’une certaine manière, oui. Ce roman peut s’appréhender de deux façons complémentaires : soit du point de vue nationaliste corse, soit comme une réflexion sur l’état actuel de la France. J’insiste beaucoup là-dessus : ce livre s’adresse autant aux non-Corses qu’aux Corses.

 

Question : Il s’agit donc d’un livre à thèse !?

Réponse : Non, je ne crois pas, ou pas exclusivement. Ce livre est un livre d’action, qui peut se lire comme un polar et qui en fait se termine comme un polar. Mais, il y a - c’est exact - une dimension historique volontaire que j’assume évidemment.

 

Question : Comment, sur ce point, votre travail s’est-il articulé ?

Réponse : Je ne suis pas historien et ne prétends pas l’être ; d’où le soin que j’ai pris de faire relire mon texte par un historien, mon ami Luc Thomassin. Je ne voulais pas qu’il y ait trop d’énormités historiques, notamment en ce qui concerne la Troisième République que je ne porte pas vraiment dans mon cœur. Je lis le plus grand nombre possible d’ouvrages consacrés à l’histoire de notre île et - je précise - à celle de notre peuple. J’ai naturellement analysé cette histoire ou ces histoires au travers du prisme de ma propre sensibilité, d’où mon interprétation que d’autres peuvent ne point partager. Je me suis en outre plongé dans l’exploration de nombreux sites anglophones et hispaniques. Et quelle ne fût pas ma surprise de constater que les nôtres ont été si importants - plus importants que je ne l’imaginais - dans l’histoire de plusieurs pays au premier rang desquels Porto Rico. Ma conclusion est que l’histoire de notre peuple ne doit pas se limiter à son actuelle vassalité. Notre histoire a existé avant, et nous nous devons qu’elle existe après. Mon ami et co-auteur de La France Décapitée, Paul-François Paoli a commis un livre que je chroniquerais dans vos colonnes si vous me le permettez. Paul-François « cherche à recréer les liens d’affinités qui s’étaient noués au cours des âges entre la Corse et la France, et donc entre la France et le fil de son histoire ». Ce fil, pour moi, est aujourd’hui brisé ; je pense de manière irréparable. 

 

Question : Avez-vous mené des recherches précises ?

Réponse : Oh que oui (sourire)... en ce qui concerne les armes et le matériel militaire ; beaucoup ! Sur ce point, j’ai été particulièrement appliqué et studieux. Je suis devenu un érudit, … quasiment un expert. Je pense (éclat de rires) que cet aveu de sérieux ne choquera aucun lecteur corse.

 

Question : Quant à vous, quelles sont vos racines et vos liens avec la Corse ?

Réponse : Pour autant que je sache, mes origines sont essentiellement du Cismonte. J’ai comme beaucoup d’entre nous un peu de sang italien dans les veines, mais avant tout je suis cortenais. Cette ville qui est le seul endroit au monde où je me sente intégralement chez moi, est à l’honneur dans le roman. Cependant je n’ai pas localisé l’intrigue dans cette chère cité mais dans un village imaginaire, Pietra-Corscia, afin que chaque Corse puisse se reconnaitre dans le lieu et ainsi accaparer l’histoire. J’ajoute un détail : dans Le Fils de la Nation, je mentionne le célèbre Ghjuvan-Ghjacumu Ambrosi de Castineta , … qui est un de mes ancêtres. C’est (rires) l’unique note autobiographique présente dans ce texte.

 

Question : Une grande partie du roman se déroule aux Etats-Unis, pouvez-vous en expliquer la raison ?

Réponse : Deux grandes villes américaines sont concernées : Boston, qui est magnifique, et Philadelphie où j’ai longtemps songé à m’acheter un pied-à-terre dans le quartier italien, celui où se déroule le film Rocky. J’affectionne tout particulièrement ces deux endroits au point où - si je n’étais pas autant attaché à notre île - j’y terminerais volontiers ma vie. D’ailleurs, il y a une chose qui m’insupporte chez de nombreux Français ; c’est leur ambivalence envers les Etats-Unis. Ces gens-là critiquent constamment ce pays, sa prétendue inculture, ses dirigeants, mais les imitent en tout. Schizophrénie totale ! La France est un pays américanisé, presque intégralement, mais qui joue à ce sujet encore les saintes-nitouches. Ceci est le problème des Français ; pas le mien, ni celui des Corses. J’ai porté mon choix sur les Etats-Unis parce que certes je les connais, mais surtout pour une raison plus subtile que vous me donnez l’occasion d’expliciter. Mes personnages - vous l’avez remarqué - peuvent tout au long de l’histoire affirmer leur américanité sans qu’il leur soit demandé d’étouffer leur corsitude, ou revendiquer leur corsitude sans que leur américanité soit mise en doute par quiconque. En va-t-il de même en France ? Bien sûr que non ! Dès que quelqu’un met en avant sa particularité - corse pour nous ; autre pour d’autres -, aussitôt un jacobin de service s’ingénie à vouloir vertement le remettre dans le droit chemin d’une identité hexagonale qui n’existe désormais plus que dans les élucubrations de nostalgiques un brin arriérés ou naïfs. Raison supplémentaire pour laquelle Le fils de la Nation projette à dessein le leg américain de Pasquale Paoli dans un avenir indéterminé mais proche.

 

Question : Vous évoquez également beaucoup l’Amérique latine !?

Réponse : A la différence des Etats-Unis, je n’ai pas encore visité l’Amérique du Sud. Mais je compte y aller au plus vite, singulièrement à Porto Rico et au Venezuela où un grand-oncle, un frère de mon grand-père, a fait souche après s’être échappé du bagne de Cayenne. Ma connaissance de l’espagnol m’a permis de plonger dans des sites dédiés et de vérifier à quel point les Corses participèrent et participent encore à l’essor de ces pays. Pour mémoire, le Venezuela a eu trois présidents issus de notre peuple et a même failli en avoir un quatrième. Je reviens sur cet exemple pour rappeler que la France n’est pas notre unique clef d’ouverture au monde. Notre corsitude ne contrarie en rien notre accès à l’universel.

 

Question : Comptez-vous revenir sur ce thème dans vos livres ?

Réponse : En tant qu’auteur, pas dans l’immédiat car le roman, mon cinquième, sur lequel je travaille actuellement développe une thématique très différente. Cependant, en tant que directeur de la collection U Culombu, plus que jamais ! Cette collection marrie corsitude et universalité. Et tous Les auteurs publiés illustrent avec brio et justesse que, pour nous, revendication identitaire rime nullement avec fermeture. La France et les Français - je le reconnais sans détours - sont fortement malmenés par la mondialisation en cours. Et cela est très dommageable pour eux, c’est vrai. Mais, pour nous Corses, la donne est radicalement différente. Grâce à notre immense diaspora, nous savons vivre avec les autres cultures sans nous renier ; nous avons appris à concilier le global, le pays où nous résidons, et le local, la terre d’où nous venons. C’est de cette inépuisable richesse que se nourrit la collection U Culombu.

 

Question : Un dernier mot pour conclure …

Réponse : Avec Le Fils de la Nation, j’espère arriver à montrer que limiter notre champ d’exploration aux affres d’une pauvre république en pleine délinquance est un suicide

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