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L'hydrogène, un choix pertinent et d'avenir pour la Corse ?
Par: Caroline Marcelin Publié le: 25 janvier 2021 Corstyrène, station hydrogène Doc CM
Le directeur de l'agence de l'urbanisme et de l'énergie de la Corse travaille sur la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie qui sera prochainement présentée à l'Assemblée de Corse. Florent Selvini. Le directeur de l'agence de l'urbanisme et de l'énergie de la Corse travaille sur la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie qui sera prochainement présentée à l'Assemblée de Corse.
Le plan de relance consacre d'ici à 2030, 7,2 milliards d'euros à l'hydrogène. Objectif : construire une filière verte et viable. Sur une île qui vise à terme l'autonomie énergétique, le développement de cette source d'énergie décarbonée y est étudié attentivement
Depuis plusieurs jours, les entreprises du secteur de l'énergie multiplient les annonces de nouveaux investissements dans des projets d'hydrogène. Un temps délaissée, cette source est désormais considérée comme un pilier de la transition énergétique mondiale.
En France, elle fait de nouveau l'objet de toutes les attentions depuis septembre dernier, lorsque dans le cadre du plan de relance, Emmanuel Macron annonçait lui consacrer une enveloppe de 7,2 milliards d'euros sur les dix prochaines années.
Par le développement de cette filière susceptible de créer de nombreux emplois, le gouvernement espère réindustrialiser le pays en partie.
Or en Corse, l'hydrogène est étudié dans sa forme décarbonée depuis près de 10 ans sur la plateforme Myrte, la "mission d'hydrogène renouvelable pour l'intégration au réseau électrique".
Sur le site de Vignola, à quelques pas des Sanguinaires à Ajaccio, l'électricité produite par des panneaux solaires est stockée dans un électrolyseur qui convertit l'électricité en hydrogène et oxygène.
Ces éléments sont ensuite retransformés en énergie par une pile à combustible pour être utilisés pendant les heures de faible consommation, lorsque les panneaux photovoltaïques ne produisent plus.
À son inauguration en 2012, Myrte fut annoncée comme une première mondiale pour la quantité d'énergie verte qu'elle créait, soit 560kWh, à l'époque. "Le pari était assez osé, se souvient Christian Cristofari, directeur de la plateforme, puisque cette énergie n'était viable ni d'un point de vue technique ni économique. Notre mission est de trouver comment l'intégrer dans un paysage énergétique avec un coût acceptable."
Décarboner et créer une filière
Et c'est précisément à Vignola qu'en juillet 2019, Édouard Philippe, alors Premier ministre, validait aux côtés de François de Rugy, encore ministre de la Transition écologique et solidaire, les choix établis par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour la Corse, suscitant ainsi l'un des rares moments d'apaisement entre le gouvernement et la majorité territoriale nationaliste.
Parmi les choix confirmés : le redimensionnement d'une nouvelle centrale au Ricanto, à Ajaccio et son approvisionnement en gaz naturel liquéfié ainsi que l'assurance d'une mobilisation financière pour que la Corse puisse atteindre l'autonomie énergétique en 2050.
Deux ans plus tard, en pleine épidémie de la Covid, tandis que les inquiétudes sont vives sur l'acheminement du gaz naturel en pour 2023 (ces doutes devraient être confirmés ou levés d'ici la première quinzaine de février), l'État veut accélérer le développement des énergies renouvelables.
Pour l'heure, aucune information n'a été délivrée par la préfecture sur une enveloppe hydrogène spécifique à la Corse.
Les détails du plan de relance pour l'île seront en effet précisément délivrés ce mercredi, à l'occasion d'une conférence de presse au palais Lantivy. Plus de 20 millions d'euros ont déjà été annoncés pour la rénovation de bâtiments publics de l'île.
Pour Christian Cristofari, il est pertinent de développer l'hydrogène en Corse : " En y consacrant 7 milliards d'euros, le gouvernement a pour objectif de décarboner l'industrie chimique, de développer la mobilité et d'intégrer l'hydrogène dans les réseaux électriques. Or en Corse, qui est une île 7 fois plus carbonée que le continent, il est possible de juxtaposer ces trois phases. Et de créer une filière créatrice d'emplois."
"De nombreux projets sont en train de sortir…"
À l'agence de l'urbanisme et de l'énergie de Corse (AUE), où la PPE est actuellement révisée, le directeur général Alexis Milano insiste surtout sur l'économie d'énergie réalisable par la rénovation de bâtiments et cite la convention de 71 millions d'euros que l'AUE a passée, il y a quelques semaines, avec EDF, qui permet d'aller plus loin dans la maîtrise de l'énergie.
Pour le directeur, la priorité se situe dans la rénovation du logement social, "plutôt que dans celle des bâtiments publics, type gendarmeries, comme le prévoit le plan de relance…".
L'hydrogène, quant à lui, est intégré dans le "mix énergétique", bouquet d'énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique) dont les filières sont à développer dans le cadre de la PPE pour atteindre l'autonomie énergétique de la Corse.
"L'idée, détaille-t-il, c'est, avec tous les partenaires, comme l'Ademe, EDF, de déterminer quels sont les gisements pour chaque filière, de définir pour chacune d'elles des objectifs, de faire un assemblage et de flécher tous les crédits. Pour ce qui est de l'hydrogène, un plan est en cours d'élaboration. Comme à chaque fois, lorsqu'il s'agit de développer une nouvelle énergie, il y a d'un côté les conservateurs qui disent que ça ne marchera pas, de l'autre les enthousiastes.
L'intérêt avec l'hydrogène, c'est que c'est l'un des rares outils qui permettent de créer une production, de la stocker et d'alimenter la mobilité verte. Et la grande idée de Myrte, c'est de faire de l'hydrogène vert, couplé avec du photovoltaïque."
Tandis que plusieurs acteurs privés, comme Corsetyrène souhaitent se lancer sur ce créneau, l'Agence de l'urbanisme entend fixer un cadre précis avec l'université de Corse. "Comme nous l'avons fait lors du développement du photovoltaïque en 2009, on ne peut pas laisser faire n'importe quoi, il faut cadrer un minimum, explique Alexis Milano. Notre volonté, c'est de mettre en place dans un premier temps un prototype, qui produise 8 tonnes par jour."
Une production dont l'objectif à terme est l'ouverture de stations d'hydrogènes dans plusieurs bassins de vie insulaires pour une utilisation destinée aux transports lourds, comme les camions, les bus et les cars mais aussi les ferries et les bateaux de croisière.
De son côté, Christian Cristofari précise : "Le prototype devrait se faire rapidement, tout dépendra des fonds publics que nous obtiendrons. De gros projets sous-jacents sont en train de sortir. Nous ne pouvons pas encore en parler. Nous recevons des gens, nous sommes prudents. Car un certain nombre d'entre eux saisissent l'opportunité sans avoir forcément les clés pour viabiliser une chaîne."
Corstyrène : "La première station hydrogène sur l'île en 2021"
À Aleria, Corstyrène Energy, filiale de Corstyrène, spécialiste du polystyrène expansé, est sur le point de finaliser une station hydrogène.
Le projet devrait voir le jour d'ici la fin de l'été 2021, précisent Daniel Dutilleul, responsable des trois sites de l'entreprise (Corstyrène, Kallisté bois industrie et Innostyre à Ajaccio), et Estelle Ouzineb, chargée de projet.
Propriété de la famille Guillot, l'entreprise, qui possède également deux sites en Sardaigne et un site sur le continent, fêtera cet été ses 50 ans d'existence. Acteur majeur de l'industrie insulaire, elle cultive la discrétion. "Nous travaillons depuis plus de 15 ans à remplacer les énergies primaires qui sont encore fossiles pour être les plus vertueux possible en consommation", explique Daniel Dutilleul.
"Hydrogène vert"
Après avoir investi quelque 13,5M sur le raccordement d'une centrale solaire en toiture et au sol de 3,3 MW sur son site d'Aleria, l'entreprise se positionne comme "précurseur" de l'hydrogène en Corse. "Il s'agit d'une ressource connue depuis longtemps, qui était à la base produite à partir de méthane, explique Estelle Ouzineb. Notre projet, c'est de produire et de distribuer de l'hydrogène vert, à partir de l'énergie renouvelable ".
"Notre station sera une première nationale, renchérit Daniel Dutilleul. L'utilisation des chariots élévateurs par l'énergie produite par l'hydrogène est connue sur une dizaine de sites en France, mais nous assurerons la production et la distribution d'un hydrogène décarboné sur le même site ".
Aucune information n'est en revanche délivrée par le responsable sur le coût de cette opération.
Dans un premier temps, la station produira de petits volumes, destinés aux 9 chariots élévateurs de l'entreprise. "Nous augmenterons ensuite la production pour alimenter nos semi-remorques et nos tracteurs, puis pour la distribuer ailleurs. Nous nous intéressons aux volontés des collectivités locales car nous souhaitons à terme créer des synergies entre différents acteurs et, à titre d'exemple, permettre la création de flottes de véhicules pour le ramassage des déchets", précise encore Estelle Ouzineb.