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La lettre de Léosthène,

 

Les responsables de la Lettre de Léosthène, nous ont donné l'autorisation de publier cette lettre. Nous vous invitons à la lire et aller sur leur site : http://www.leosthene.fr

pour suivre leurs publications et les analyses très pointues de leurs publications.

Bonne lecture chères amis et chers amis...

France : l’impasse stratégique

 

« Où en sommes-nous, quelles sont nos forces, actuelles et virtuelles ?

Que voulons-nous faire pour tirer de ces forces, dans la coalition dont nous faisons partie, la plus grande efficience possible ?

Dans ce domaine terrible, il n’y a pas d’autre question ».

Charles de Gaulle, mars 1944, Alger.

 

La rupture brutale du « contrat du siècle » passé avec les Australiens au bénéfice des Américains continue, avec moins de bruit, de titiller, de réveiller les consciences. Ainsi Laure Mandeville écrit-elle pour le Figaro, ce 1er octobre : « les Français se retrouvent ces jours-ci dans un cul-de-sac géopolitique, pris en étau entre la «traîtrise» de leurs alliés anglo-saxons et la passivité décourageante de leurs alliés européens. Seuls avec leur rêve d’«autonomie stratégique» introuvable pour l’Europe » (1). Bien sûr, reconnaît-elle, il y a l’humiliation ressentie – et exprimée sans détours par le ministre des Affaires étrangères, quant à la désinvolture insultante de Washington et de Londres. Il y a aussi la colère de s’être fait berner, le questionnement sur les faiblesses françaises. « Mais la France a aussi été «lâchée» par ses alliés d’Europe, qui, tout en exprimant leur indignation à propos de l’affaire AUKUS, ne semblent pas prêts à s’engouffrer dans la brèche pour construire l’«autonomie stratégique» dont rêve le président Macron ».

 

Ce rêve, le président français l’a formulé à plusieurs reprises, d’abord lors de son discours à la Sorbonne peu après avoir été élu, le 27 septembre 2017 (2). Il y défendait l’idée que la réussite économique européenne, faite de « coopérations fraternelles ou de rivalités pacifiques » ne suffisait plus dans un monde en profond bouleversement. Que cette « Europe rêvée » qui « grandissait à l’abri » du reste du monde, des peuples, aussi, parce que « le projet européen naissant était la mission de quelques-uns, recousant les fils d’un continent déchiré », était maintenant « exposée aux bourrasques de la mondialisation telle qu’elle va » et même aux « passions tristes » des peuples qui la composent. Il proposait donc d’aller au-delà d’une communauté économique vers une « communauté politique », qui aurait une défense commune, une « culture stratégique commune », une « force d’intervention commune », une politique étrangère et de ses frontières – une ambition commune sur tous les plans, écologique, industriel agricole, technologique, etc. En bref, il appelait de ses vœux ce qu’il nommait une « souveraineté européenne » - quoique ce concept veuille dire précisément.

 

Discours accueilli avec une inappétence polie par ses partenaires de l’Union européenne. Il y revenait pourtant sans désemparer, multipliant des interventions en France ou depuis l’étranger, tour à tour pressant ou alarmiste (3), toujours tenace, comme indifférent à la réserve marquée par ses partenaires, dont l’Allemagne.

 

Non pas qu’il n’ait pas vu le monde changer ou les défauts de la construction européenne, qu’on en juge : « L’Europe a été construite comme le « Junior Partner » des Américains » disait-il en novembre 2019 à The Economist  (3). « C’est ce qu’il y a derrière le Plan Marshall dès le début. Cela allait de pair avec des Etats-Unis bienveillants, garants en dernier ressort d’un système et d’un équilibre de valeurs, fondé sur la préservation de la paix dans le monde et l’hégémonie des valeurs occidentales. Il y avait un prix pour ça, c’était l’OTAN et le soutien à l’Union européenne. Mais un changement s’est opéré ces dix dernières années, et il ne s’agit pas que de l’administration Trump. Il faut regarder ce qu’il se passe très profondément du côté américain. C’est l’idée théorisée par le Président Obama : « Je suis un président du Pacifique ». Puis, on l’a vu, celle de Donald Trump et enfin, à la grande surprise des Européens, celle de Joe Biden. Que disait encore Emmanuel Macron ? « Premièrement l’Europe perd le fil de son histoire progressivement ; deuxièmement, un changement de la stratégie américaine s’opère ; troisièmement le rééquilibrage du monde va de pair avec l’émergence – depuis 15 ans – d’une puissance chinoise qui crée un risque de bipolarisation et marginalise clairement l’Europe ».

 

Donc ? « Tout cela conduit à une fragilité extraordinaire de l’Europe qui, si elle ne se pense pas comme puissance dans ce monde, disparaîtra, parce qu’elle fera l’objet d’un coup de boutoir (…). Au vu de tous ces phénomènes, je ne crois pas être pessimiste ou noircir le tableau quand je dis ça. Je dis juste que, si nous n’avons pas un réveil, une prise de conscience de cette situation et une décision de s’en saisir, le risque est grand, à terme, que géopolitiquement nous disparaissions, ou en tout cas que nous ne soyons plus les maîtres de notre destin. Je le crois très profondément ». Mais les Allemands ? Ils n’ont pas la même stratégie ! Insiste l’hebdomadaire britannique (« On ne constate pas beaucoup de mouvement dans ce sens-là. Ils vous repoussent tout le temps »). Réponse ? « Je n’ai pas de leçon à donner aux Allemands (…). Ils sont les grands gagnants de la zone euro, y compris avec ses dysfonctionnements. Aujourd’hui simplement il faut que le système allemand intègre que cette situation n’est pas durable. Mais encore une fois je dis… les convaincre, les pousser à aller dans ce sens-là c’est le seul moyen pour moi de les faire venir à ma position ». Nous étions en novembre 2019. Presque deux ans après, rien n’a changé.

 

Ou plutôt si. Le 3 novembre 2020, la ministre de la Défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer, exprimait avec netteté la position allemande sur sa défense : quel que soit le locataire de la Maison Blanche, « les illusions d’autonomie stratégique européenne doivent cesser » car les « Européens ne pourront pas remplacer le rôle crucial de l’Amérique en tant que ‘fournisseur’ de sécurité ». Sa déclaration a été publiée le 2 novembre (en anglais) dans Politico (4) sous le titre : L’Europe a encore besoin de l’Amérique – nous le relevions ici (5). Et, très claire : « L'Allemagne, pour sa part, doit prendre d'urgence la décision de rester dans le cadre du programme de partage nucléaire de l'OTAN et affecter rapidement les moyens budgétaires et militaires nécessaires afin de rester un partenaire nucléaire fiable ». La messe était dite. Etait ? Le document stratégique qui vient d’être livré par le Conseil allemand des relations étrangères (DGAP), auquel ont participé des politiciens de la CDU-CSU (chrétiens-démocrates), du SPD (sociaux-démocrates) et de l’Alliance 90-Les Verts, précise les ambitions allemandes pour les années qui viennent – nous l’évoquions dans notre dernière livraison. La « Smart Sovereignty » telle que définie, et qui tient compte des bouleversements géopolitiques du monde, a pour objectif d’y renforcer le poids d’une l’Allemagne qui veut « être en mesure de fixer et de poursuivre ses propres objectifs en ce qui concerne les questions politiques majeures, plutôt que d'assumer ceux des autres ».

 

L’Allemagne voit l’Union européenne comme devant servir ses intérêts, pas comme une future « communauté politique » qui aurait une défense et une « culture stratégique » commune. Aucun signe de rapprochement avec le rêve du président français. La « sécurité » allemande est assurée par l’OTAN. Pour le reste, « il est essentiel de maintenir des partenariats et des alliances éprouvés qui vont au-delà de l'UE, notamment avec les États-Unis mais aussi avec le Royaume-Uni (…). En outre, l'Allemagne doit se positionner dans de nouveaux réseaux et alliances spécifiques afin de relever des défis politiques interconnectés à l'échelle mondiale ».

 

Quant à mobiliser les autres Européens, ajoute Laure Mandeville en citant un professeur au département d’étude de la guerre à King’s College (Londres), Alessio Patalano, il faut noter surtout « la grande indécision du reste de l’UE », les vingt-sept en ordre dispersé, du Danemark qui s’est désolidarisé dans l’affaire AUKUS (6) à l’Italie d’un Mario Draghi proche, au moins le dit-il, des positions françaises. Et encore : « Vouloir profiter de cette crise pour ranimer «le concept d’autonomie stratégique européenne», comme les diplomates français semblent pressés de le faire, paraît bien peu réaliste, en conclut Julie Marionneau, chercheur au think-tank Policy Exchange. À Londres, on dit voir émerger une Allemagne post-Merkel qui ne permettra pas d’inspirer une politique étrangère plus dynamique, confirme Patalano » (1). Ou, dirons-nous, plus conforme au travail continu, depuis le début de son mandat, du président français – par exemple, dans le domaine concret de l’armement, autour du Système de combat du futur (SCAF), malgré, relevions-nous ici (7), des divergences sous-jacentes importantes entre les approches française et allemande du programme.

 

A ce point, on peut poser une question. La France prend au 1er janvier 2022 la présidence du Conseil européen dans une position très difficile. En dehors des bavardages inconséquents de divers « porte-parole » du parti présidentiel et autres « communicants » à cervelles d’étourneaux, comment Emmanuel Macron peut-il sortir de ce qui s’est révélé être une impasse stratégique ? « Nous devons être intraitables lorsque notre souveraineté ou celle de nos partenaires est menacée » disait-il devant les ambassadeurs, en août 2019. Oui, et c’est celle des Français qui compte d’abord, celle dont Emmanuel Macron a la charge, sans laquelle en outre nous ne pourrons plus rien offrir aux autres.

 

Dans ce domaine terrible, il n’y a pas d’autre question.

 

Hélène Nouaille

 

 

Notes :

(1) Le Figaro, le 1er octobre 2021, Laure Mandeville, Le doux rêve français d’autonomie stratégique

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/le-doux-reve-francais-d-autonomie-strategique-20210930

 

(2) Site de l’Elysée, le 26 septembre 2017, Discours d’Emmanuel Macron pour une Europe souveraine, unie, démocratique

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique

 

(3) The Economist, le 7 novembre 2019, Emmanuel Macron in his own words (version française)

https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-in-his-own-words-french

 

(4) Politico, le 2 novembre 2020, Annegret Kramp Karrenbauer, Europe still needs America

https://www-politico-eu.translate.goog/article/europe-still-needs-america/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=nui,sc

 

(5) Voir Léosthène n° 1513/2020, le 11 novembre 2020, Cinquante après de Gaulle, quel dessein pour la France

« Jamais la France n’a connu situation aussi critique que lors de la Seconde guerre mondiale ». Carl Meeus, qui décrit pour le Figaro le brouillard français d’aujourd’hui, n’étonne qu’un instant. Parce qu’enfin si la France, envahie en 1940, était encore, quatre ans après, menacée de disparition, quelles sont ses perspectives aujourd’hui si l’on considère, comme le recommandait le général de Gaulle en mars 1944, quand rien n’était joué, « les dures réalités sur lesquelles se fonde l’action » ? Pour se donner un avenir, il fallait, disait le général, se poser une seule question. « Où en sommes nous, quelles sont nos forces, actuelles et virtuelles ? Que voulons-nous faire pour tirer de ces forces, dans la coalition dont nous faisons partie, la plus grande efficience possible ? ». C’est encore, pour nous la seule question qui vaille aujourd’hui.

 

(6) LCI, le 27 septembre 2021, Live, 12H27, EN DIRECT - Crise des sous-marins : le Danemark défend Biden face aux critiques européennes

https://www.lci.fr/international/en-direct-crise-des-sous-marins-australiens-les-dernieres-infos-sur-l-affaire-qui-oppose-la-france-aux-etats-unis-et-a-l-australie-2196653.html 

 

(7) Voir Léosthène n° 1554/2021, le 17 avril 2021, Avion du futur SCAF : marchandage sur la sécurité nationale ?

Où en est le programme décidé en 2017 par Emmanuel Macron et Angela Merkel pour « revitaliser » la coopération européenne en matière de défense ? Le Système de combat aérien du futur (SCAF), initié en 2017 par Emmanuel Macron et Angela Merkel a été rejoint en 2020 par l’Espagne. Au cœur du projet, un successeur de nouvelle génération (NGF, Next generation fighter) au Rafale français et à l’Eurofighter allemand et espagnol. Sachant qu’après les chasseurs américain (F-35), russe (Sukhoi SU-57) et chinois (Chengdu J-20) dits de cinquième génération, le futur appartiendra à un système complexe, les chasseurs mis en réseaux avec des drones et des essaims de drones – entre autres (renseignement, ravitaillement, spatial, etc.). Le projet patine. Pourquoi ?

 

Léosthène, Siret 453 066 961 00013 France APE 221E ISSN 1768-3289
Directeur de la publication : Yves Houspic (yhouspic@gmail.com)
Directrice de la rédaction : Hélène Nouaille (helene.nouaille@free.fr)
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