MEDIA CORSICA
Margaux Benn :
"À plusieurs reprises, je me suis moi-même
envoyée en mission, au lieu d'attendre sagement"
Par Joseph Ghosn Publié le 23/12/2022
Le 84e prix Albert-Londres, le plus prestigieux du journalisme francophone, a été remis à Riga
(Lettonie) à la journaliste Margaux Benn pour pour sa couverture du conflit ukrainien dans les
colonnes du Figaro. Benjamin Geminel
Journaliste au Figaro, cette jeune Franco-Canadienne vient d'être récompensée par le prix
Albert-Londres pour ses reportages sur la guerre en Ukraine.
Née en 1988, elle a eu plusieurs vies, entre l'Afrique, l'Afghanistan et l'Ukraine, mais aussi entre l'écriture, la radio et la vidéo : en parallèle de son travail au Figaro, Margaux Benn réalise des documentaires. Nous l'avons interrogée à propos de son travail, son écriture et ce qui la motive.
Madame Figaro. – Votre premier souvenir de journalisme ?
Margaux Benn. – À 17 ans, après le bac, j'ai travaillé quelques mois pour un magazine anglophone en Transylvanie, en Roumanie. Puis, à 24 ans, un master en poche et sans le sou, je suis partie à Khartoum, au Soudan. J'avais fait mon mémoire sur l'indépendance du Soudan du Sud, et apprenais l'arabe. Je me revois dans mon appartement sans climatisation, au milieu du désert, par 40 degrés, à me nourrir de thon en boîte, de pain, de fèves… Et commencer à travailler pour le site de Radio France Internationale (RFI) avec un journaliste culturel qui faisait pour moi office de traducteur.
D'où vient votre attraction pour l'ailleurs ?
La moitié de ma famille est française et l'autre est canadienne anglophone. Mon père est géologue, il a beaucoup voyagé, et ma mère est professeure des écoles et a travaillé aux États-Unis, en Amérique latine… J'ai été bercée par leurs récits. Mais surtout, j'ai toujours su que je voulais découvrir le monde et ne jamais cesser d'apprendre. La perspective d'une vie trop rangée m'angoisse.
Je veux juste partager avec les gens des sentiments, des rires, des pleurs, même sans comprendre la langue, écouter sans m'imposer, ni contredire ou plaquer mon opinion
Comment faites-vous pour ne pas tomber dans l'exotisme ?
Je vais dans un endroit sans a priori : je découvre des gens, je perçois leurs émotions, leurs mimiques, qui peuvent m'en rappeler d'autres, vues dans d'autres pays. Je veux juste partager avec eux des sentiments, des rires, des pleurs, même sans comprendre la langue, écouter sans m'imposer, ni contredire ou plaquer mon opinion. Car j'ai conscience que sur le terrain, les gens parlent à une étrangère et que, selon le lieu où je me trouve, je peux être perçue de nombreuses manières sur lesquelles je n'ai aucune prise.
Votre genre a-t-il eu une incidence sur le travail de terrain ?
J'ai eu accès à des scènes et des lieux grâce au fait que je suis une femme, notamment en Afghanistan. J'ai parfois profité du côté macho des hommes : il est arrivé qu'on porte mon trépied, qu'on me donne une escorte pour traverser une zone sensible… Être une femme permet aussi de désamorcer des tensions, comme aux checkpoints… On est perçues comme plus inoffensives. En tant que jeune femme, je ne renvoie pas l'image typique d'un reporter de guerre
Comment vous êtes-vous retrouvée en Ukraine ?
Au moment où la Russie a commencé à attaquer en février, je venais d'être embauchée par Le Figaro, où je pigeais depuis 2018, et j'étais en mission en Afghanistan. Je suis rentrée et, trois semaines plus tard, je suis partie en Ukraine. Cette année, j'y suis allée quatre fois : au service Étranger, nous nous relayons là-bas.
Le prix a-t-il changé quelque chose ?
C'est une marque de reconnaissance, et c'est beau de penser que je suis parvenue à autant toucher des lecteurs, dont le jury. Et puis, c'est un jalon important dans mon parcours. J'avais quitté mon job pour être indépendante en Afghanistan, car j'avais compris qu'en tant que jeune femme qui ne renvoie pas l'image typique d'un reporter de guerre, je ne serais pas celle qu'on enverrait sur des terrains compliqués… À plusieurs reprises, je me suis moi-même envoyée en mission, au lieu d'attendre sagement. Ce prix vient dire que j'ai réussi à montrer ce dont je suis capable… Et m'encourage à progresser !
Si la question, nous était posée, nous dirons sans hésitez, oui cela nous a permis de connaître cette journaliste qui ose aller au bout de ses rêves, franchir des frontières plutôt que de rester derrière un bureau à commenter sans voir, sans toucher, comme ce que je fais, hélas... Alors quand d'autres aussi talentueuse franchissent les frontières pour nous rendre compte de leur vision, alors oui cela nous change et je pense qu'inévitablement cela aura pu la changer aussi...
Margot à Margaux !
@B_Margaux Margaux Benn, 84e lauréate du Prix Albert Londres presse écrite pour sa couverture de la guerre en #Ukraine dans @Le_Figaro Pour son style, son écriture enviable, son art du récit, une tendresse dans le regard posé sur ceux qui sont au front...
Benjamin Géminel