MEDIA CORSICA
La Corse sous la menace anglaise : l'attaque de Sagone
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS et Alain VENTURINI
Contexte historique
La flotte anglaise à la périphérie de l’Empire
Après Trafalgar, les Anglais, qui n’ont jamais fortifié leurs côtes, considèrent plus que jamais que « les frontières de l’Angleterre se trouvent sur les côtes de ses ennemis ». Alors que les troupes napoléoniennes promènent leurs étendards victorieux à travers toute l’Europe, la marine britannique exerce une pression constante sur les littoraux de la Méditerranée, de l’Atlantique et de la mer du Nord. Ses escadres exercent un blocus rapproché, permanent et humiliant devant tous les ports de guerre ou de commerce. Les marins anglais multiplient les coups de main et les opérations de commandos contre les côtes : ils s’emparent des navires de commerce français, ruinant tout négoce, enlèvent des patrouilles, attaquent les batteries. Frégates et navires légers contrôlent même la pêche et s’efforcent d’entraver le cabotage, alors essentiel au ravitaillement de nombreux ports.
La Corse vit alors en permanence sous la menace anglaise. Installés en Sardaigne, les Anglais multiplient les incursions contre les convois de céréales qui viennent ravitailler l’île ou contre les bateaux chargés de bois qui en partent, afin d’empêcher la construction navale française. Le risque d’un débarquement se profile derrière chaque coup de main. La contrebande prospère en s’appuyant sur les liens familiaux qui existent entre les populations des deux îles. Mais les Corses vivent dans un contexte de pénurie tandis que les douanes procèdent périodiquement, selon la loi, à des brûlements de marchandises saisies, qui impressionnent vivement les populations.
Analyse des images
Une attaque d’escadre anglaise
Côté anglais, trois grandes gravures mises en couleur, publiées par George Andrews dans la tradition des combats navals, célèbrent avec fierté les trois phases du succès de la Navy.
Les frères Robert et Daniel Havell, paysagistes de talent, évoquent avec une telle exactitude le golfe de Sagone qu’on peut penser qu’ils ont travaillé d’après un témoignage oculaire. Trois vaisseaux anglais, immobilisés par l’absence de vent, partent à l’attaque avec une rare audace : les deux lourdes frégates se font remorquer par des files de canots à rames, et les marins du brick actionnent de longs avirons par les sabords. Au fond de la baie, deux frégates françaises[1], la Girafe et la Nourrice, ainsi qu’un navire marchand armé, se sont embossés à toucher la terre. Quelle protection peuvent-ils attendre des bouches à feu installées sur les vieilles défenses de la plage, et des troupes sur les hauteurs qu’une artillerie insuffisante prive des avantages de leur position dominante ? Savent-ils que le capitaine Barrie[2] commande la Pomone ? Près de la terre ferme, les Français redoutent-ils moins d’être faits prisonniers ? Les pontons anglais ont une réputation sinistre…
Barrie a jaugé la capacité de feu des quelques canons conservés par les bateaux (vingt-six pour la Girafe et vingt-huit pour la Nourrice) et des batteries sur la côte. On distingue, côté français, l’entrée en action de l’artillerie installée sur la plate-forme supérieure de la tour et de la batterie construite au pied de celle-ci. A 6 heures et demie, Barrie engage le feu. Moins de deux heures de salves d’artillerie pulvérisent la résistance des Français.
D’après les sources anglaises, dès que les navires français sont en feu, les Anglais se retirent, pour éviter les retombées de l’explosion de la Girafe et de l’incendie des navires et batteries. Nul doute que l’opinion publique anglaise a dû apprécier cette vision d’apocalypse déclenchée par une attaque à la rame !
Côté français, le bulletin de police du 25 mai 1811 indique que l’équipage « attaqué à midi » a lui-même mis le feu « vers le soir » puis s’est « retiré », sous le « feu continuel par des pièces de 24 et des obus, sans qu’on eût aucun moyen sur ce point pour y répondre ». Le soulagement perce toutefois : les Anglais n’ont pas débarqué et ne se sont pas emparés de la cargaison !
Le récit communiqué à l’Empereur
L’Empereur a appris cette affaire importante par une voie exceptionnelle. Il réagit, le 21 mai, par une lettre au ministre de la Marine qui reproche au préfet maritime de Toulon de ne pas avoir construit les batteries nécessaires[3] pour protéger l’embarquement du bois. Il ne laissera pas cette affaire sans suite. Le 23 août, il exige des mesures énergiques et punitives, après avoir acquis la preuve d’une défense insuffisante du côté français[4]. Ordre est donné de récupérer le chargement et l’armement de la Nourrice, avec des plongeurs. L’exécution a sans doute suivi, car des recherches d’archéologie sous-marine récentes ont révélé qu’une seule épave, celle de la Girafe, gît aujourd’hui au fond du golfe de Sagone.
Ce bulletin du 25 mai qui relate les événements du 1er – soit un délai de transmission de trois semaines – montre comment Napoléon était informé des événements courants, de moindre importance stratégique. Sous l’Empire, aucun fonctionnaire, même d’un rang élevé, ne correspond directement avec l’Empereur. Toute l’information est condensée et lui est remise quotidiennement, sous forme d’un bulletin de ce type. Chaque exemplaire est constitué d’un cahier dont les feuillets sont assemblés par un ruban vert noué en haut et en bas des pages ; la couverture comporte un cadre imprimé divisé en plusieurs rubriques, avec le sommaire des nouvelles. Parmi les thèmes fréquents comme les postes de Paris (mouvements de voyageurs), l’état des prisons, le commerce intérieur et extérieur, les cours de Bourse, on trouve régulièrement mention des incursions anglaises sur les côtes. Un bulletin (revue de presse) des journaux étrangers y figure aussi chaque jour.
Interprétation
Harcèlement naval et psychologique
Ce type d’attaque révèle comment opère sous l’Empire la pugnacité de la marine anglaise : à Sagone, elle entrave la reconstruction de la flotte française en la privant de bois jusqu’à la prochaine saison et, au-delà, porte préjudice aux activités militaires et économiques.
Ces incursions constantes démoralisent les Français. Malgré leur position apparemment dominante, on les voit à Sagone attendre pendant toute une journée l’attaque ennemie sans pouvoir trouver de parade efficace !
Le continuel déplacement des attaques anglaises le long des côtes oblige à une dispersion des moyens en hommes et en matériels qui consomme une part importante des ressources de l’Empire.
La Corse sous la menace anglaise. Dossier 1 : l'attaque de Sagone
Bibliographie
Nicole GOTTERI, La Police secrète du Premier Empire.Bulletins quotidiens adressés par Savary à l’Empereur, tome II (de janvier à juin 1811)Paris, Honoré Champion, 1997.Philippe MASSON« Napoléon et l’Angleterre.La marine et l’armée anglaise contre Napoléon (1805-1815) »in Revue du souvenir napoléonien, n° 401, 1995.Jean TULARD (dir.)Dictionnaire NapoléonParis, Fayard, 1987.Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’Empereur Napoléon IIIParis, Impr.Impériale, 1858-1869, tome XXII.
Fiche sur l'épave de la Girafe dans la base de données des Epaves Archéologiques de Méditerranée du Groupe de Recherche en Archéologie Navale
Pour citer cet article
Luce-Marie ALBIGÈS et Alain VENTURINI, « La Corse sous la menace anglaise. Dossier 1 : l'attaque de Sagone », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 06 septembre 2019. URL : http://www.histoire-image.org/fr/etudes/corse-menace-anglaise-dossier-1-attaque-sagone