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Thiéphaine à Patrimonio

 

Je connaissais Hubert Félix Thiéfaine de nom, un vague souvenir

d'avoir entendu une de ses chansons, mais rien de plus...

Pour moi c'était un vieil artiste du temps de la musique "punk" des

années 70. A cette époque il y avait aussi les "Jackson Five"... et

des musiques de boîtes de nuits qui rythmaient nos folles nuits

adolescentes. C'est pour cela que je fus surpris de cet engoue-

ment et surtout des explications que me donna une amie, Françoise Selvan-Renucci.

A partir de cette page vous pouvez aller vous faire une idée supplémentaire de qui est HF Thiéfaine .

Conformément au concept des Nuits de la Guitare, c’est bien après la tombée de la nuit qu’a débuté le concert de H.F. Thiéfaine, après une première partie assurée par les Steve’n’Seagulls.

Le site en amphithéâtre et la scène dominée par la statue-menhir U Nativu, qui apporte sa présence tutélaire aux soirées du festival, offraient un cadre à la mesure de l’événement puisque c’est quasiment jusque dans la « préhistoire » – ainsi qu’ll aime à le dire lui-même – des chansons de HFT que le public était invité à remonter. C’est de ces « périodes les plus anciennes » de sa création que date par exemple Je t’en remets au vent, écrite comme l’a précisé son auteur « au lycée, pendant un cours de philo », avant d’être publiée en 1978 sur le premier album Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir. Les quarante années de discographie passées en revue au cours de la soirée l’ont certes été en abrégé puisque le cadre du festival ne permettait de présenter que des « extraits » du spectacle joué à douze reprises à l’automne 2018, et qui connaîtra encore quelques reprises jusqu’au point final apporté les 22 et 23 novembre prochain à l’Olympia. Mais même la setlist raccourcie – 1h30 environ au lieu des 2h40 du concert intégral – a pleinement donné à entendre que les 40 ans de chansons ne consistent pas uniquement en une rétrospective si brillante soit-elle : même s’agissant des chansons les plus connues et entendues les plus fréquemment en concert depuis plusieurs décennies, le répertoire thiéfainien a fait l’objet pour cette tournée anniversaire d’une véritable recréation dans laquelle le passé et le présent se voient pris dans un entrelacement constant et en lui-même novateur, sans parler de l’ouverture sur un avenir qui s’annonce toujours aussi riche de surprises. Le parcours à travers les 17 albums de l’auteur a d’abord permis d’établir de façon indiscutable – preuve à l’appui pourrait-on dire puisque les chansons s’enchaînaient dans un ordre qui n’avait rien à voir avec la chronologie de leur parution – la constance impressionnante de la signature poétique de Thiéfaine, qui transcende voire réduit à néant les différences thématiques ou atmosphériques que l’on se plaît souvent à souligner entre les textes des premiers albums et ceux des suivants, en dépit de la priorité explicitement accordée aux « mots » – ou à son équivalent phonique ou musical du « son » – sur le « sens », que l’artiste va même jusqu’à qualifier de « pas intéressant ». La principale caractéristique de l’écriture thiéfainienne est de fait une polysémie vertigineuse présente dès les premiers échantillons de son répertoire, qui développent au plan sous-jacent un discours à double voire triple entente faisant largement appel à la lecture étymologique ou plurilingue, et ce alors même que la polyphonie magistralement déployée d’une intertextualité quasiment sans limites leur fait parfois encore défaut. Tout aussi achevé est d’emblée le discours musical à la remarquable complexité orchestrale, auquel toutefois seuls les nouveaux arrangements écrits pour l’occasion de cet anniversaire symbolique ont enfin pu rendre justice, déployant dans toute leur richesse la multiplicité des parties instrumentales et le jeu de leurs échos et contrepoints que les moyens réduits des premiers albums ne permettaient que d’esquisser, tant au plan des effectifs portés ici à dix musiciens qu’à celui de la plénitude sonore.

À cet égard, il suffisait d’entendre le tout début du concert pour prendre immédiatement conscience tant du changement de paradigme intervenu sur le plan de la réalisation musicale – dont on ne répétera jamais assez qu’il ne fait que porter à un accomplissement audible par tous ce qui est déjà présent in nuce dès les partitions des premières chansons – que de la permanence inchangée de ce qui constitue l’essence d’un discours poétique exceptionnel et hors normes. Si l’introduction qui précède 22 mai, le premier titre du concert – préludant ainsi tant au spectacle entier qu’à la chanson elle-même qui lui fournit d’ailleurs l’essentiel de son matériau musical – s’ouvre à l’instar de la version studio de 1978 sur la citation du Dies irae du Requiem grégorien, elle lui confère désormais une ampleur symphonique spectaculaire, dans laquelle l’effectif rock et les instruments classiques contribuent chacun dans son registre propre à l’exacerbation inédite de la tension dramatique. Alors que l’introduction parcourt l’histoire de l’écriture musicale jusqu’à aboutir à des accents évoquant Wagner ou le Zarathoustra de Richard Strauss et que la partition de la chanson incorpore comme c’était déjà le cas sur l’album une citation d’un des Concertos brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach, la scansion rock s’intensifie sans désemparer pour donner toute son énergie musicale et scénique à cette recréation sous tension qui réalise au-delà de toute attente la promesse d’électrisation annoncée dans le titre déjà cité du premier album. Tout en comblant d’emblée la soif de belles performances instrumentales – notamment à la guitare puisque c’est sous le signe de cet instrument que se place le festival – nourrie par le public, ce morceau de bravoure offrait un arrière-plan – ou mieux un écrin – idéal à la déclamation d’un texte aux résonances multiples, susceptible tout autant d’enchanter que de déconcerter les auditeurs qui le découvraient ce soir-là. On remarquera en passant que si le public multigénérationnel qui remplissait ce soir-là les travées de l’amphithéâtre comptait autant de connaisseurs et fans de (très) longue date que de parfaits novices en la matière, la frontière entre les deux groupes s’est immédiatement effacée pour laisser place à une authentique communion dans l’écoute, voire la participation active comme cela se produit régulièrement dans les concerts de Thiéfaine, dont le public aime à chanter lui-même les chansons en même temps que l’artiste. Belle expérience de nature authentiquement dionysiaque qui laissait cependant toute sa place à la perception des textes, que la diction énergique, précise et prenante de l’auteur réalisait dans toute leur richesse poético-symbolique.

On ne saurait toutefois passer sous silence la performance proprement vocale du chanteur à la voix exactement placée, aux graves impressionnantes et à la tenue de souffle inépuisable, dont les accents se faisaient au gré des textes tantôt mordants tantôt chargés d’une intensité saisissante. Mais pour en revenir à l’expérience initiatique proposée par ce 22 mai et qui résume à elle seule toute la dimension exceptionnelle de la soirée – initiatique au sens non seulement d’une éventuelle première écoute de la chanson voire de Thiéfaine, mais surtout de l’entrée dans le labyrinthe de son discours poétique –, le néophyte et peut-être même l’auditeur averti se voyait confronté à une fulguration multivoque, que le discours explicite à la tonalité surréaliste laisse pressentir d’entrée sans qu’il soit forcément nécessaire de s’interroger sur sa composition. On se contentera donc de suggérer à l’auditeur avide de découvertes quelques pistes de réflexion analogues à celles esquissées avant le concert dans la conférence dont on trouvera ici même le compte rendu : qu’il médite par exemple – et seulement s’il le souhaite… – sur le sens étymologique de « séminariste » et son rapport avec le champ sémantique de la « semence », sur la lecture alternative et celtico-biblique du « macadam » comme « fils d’Adam », sur le sens premier de « percuter » soit « traverser la peau », sur les images féminines et bien sûr sexuelles du « pylône » en tant que porte – soit le sens même du terme en grec – ou de l’« autoroute » en tant que « voie ouverte » ou « voie brisée » comme le suggère l’étymologie latine, mais aussi sur le sens symbolique de « trois heures de l’après-midi » etc. Comme le texte de 22 mai en apporte un exemple achevé, Thiéfaine s’affirme dès ses toutes premières chansons comme un maître de l’écriture à sens multiple – comme Villon en qui il a reconnu très tôt un alter ego poétique, comme les textes religieux qu’il connaît en profondeur et qu’il a dit dans une interview vouloir emporter sur une île déserte : la Bible et son « quadruple sens » enseigné dès le séminaire, le Coran et ses « sept profondeurs » également objet de réflexions théologiques. Que l’une des « profondeurs » thiéfainiennes réalise idéalement la théorie de Lacan sur le langage comme expression d’un désir inconscient et l’inconscient « structuré comme un langage », et qu’une autre s’adonne avec délectation au « jeu » et à la « rature » désignés par Barthes comme constituants respectifs du « plaisir du texte » et de la « littérature » – voilà ce que le concert à Patrimonio donnait aussi à entendre dès ses premiers instants et jusqu’au bout d’une setlist qu’on ne peut hélas explorer en détail dans le cadre restreint de ces lignes.

Tout aussi légitime était cependant le plaisir de nature différente qu’on prenait ce même soir à s’abandonner à l’énergie déchaînée d’une musique dont on n’était pas non plus tenu de percevoir le détail de la construction polyphonique, mais qui emportait le public dans une expérience proprement inouïe qu’il a su apprécier à sa juste valeur, ainsi qu’en ont témoigné l’intensité des applaudissement lors du salut final et la difficulté éprouvée par tous pour émerger de cette heure magique.

 

Pour en savoir plus sur le discours implicite de 22 mai : Françoise Salvan-Renucci, « les bretons ont des chapeaux ronds » : présence de la tradition et de la littérature celtiques dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence à l’université Rennes 2, 11/10/2018

https://www.youtube.com/watch?v=wEjUbE_-ctQ&t=6s

 

Quelques vidéos du concert à Patrimonio :

https://fr-fr.facebook.com/france3corseviastella/videos/hubert-felix-thiefaine-en-live-à-les-nuits-de-la-guitare-de-patrimonio-corse%EF%B8%8F%EF%B8%8F%EF%B8%8Fh/2410291472548988/

 

https://www.telepaese.corsica/journal-dinformation/nutiziale/les-nuits-de-la-guitare-vibrent-pour-hubert-felix-thiefaine (avec interview intégrée)

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