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Crise russo-ukrainienne : les transporteurs maritimes fuient le risque

PUBLIÉ LE 28 FÉVRIER 2022 PAR ADELINE DESCAMPS

La guerre économique entre la Russie et le bloc occidental démarre à peine. L'impact global sur le transport maritime de pétrole et de gaz deviendra plus apparent au cours des prochaines semaines. Après avoir été tenues en haleine quant à la nature des sanctions, les compagnies sont désormais en attente de clarification sur leur portée, alors que les P&I ne s’expriment pas encore sur les risques commerciaux encourus et le coût.

Fuir le risque, un réflexe instinctif. Sans pouvoir mesurer toute la profondeur des sanctions débitées en rafale ces dernières heures, les exploitants de navires, qui ont horreur du risque, vont probablement jouer les abstentionnistes en gelant leurs liens avec les entités russes. Après avoir été tenues en haleine quant à la nature des sanctions, ils sont désormais en attente de clarifications sur leur portée, alors que les P&I tardent encore à s’exprimer sur les risques commerciaux encourus et le coût. C’est en tout cas les messages relayés.

Certaines banques auraient d’ores et déjà refusé d'émettre des lettres de crédit pour couvrir les variétés de pétrole russes, quelle que soit la destination. Il a ainsi été très difficile de vendre du brut de l'Oural pour le chargement de mars, ce qui a poussé sa décote par rapport au Brent à son plus bas niveau historique, indiquent les traders.

Les taux de fret pour le transport du brut et de produits raffinés, eux, n’ont pas réfréné leurs sentiments. Ils ont grimpé en flèche dans toutes les classes de navires et toutes les régions, dès l’invasion par la Russie, l'approvisionnement mondial en pétrole étant extrêmement serré. Mais ils ont été encore davantage dopés par les premières sanctions américaines émises par l'Office of Foreign Assets Control (Ofac).

Sovcomflot, dans l’œil de Moscou

En stigmatisant Sovcomflot, les mesures édictées par Washington ont jeté le trouble sur ses 133 navires, dont 108 pétroliers et 14 méthaniers, alors que l’embargo américain mord essentiellement l’entreprise sur son flanc financier, dans l’accès à la dette à long terme et l’achat de ses actions. Sans sanctions explicites, dans la panique, plusieurs affréteurs se sont attachés à trouver des navires ailleurs. Mais dans l’absolu, rien n'empêche les navires russes de faire escale dans les ports occidentaux pour l’instant. Certains d’entre eux y sont d’ailleurs accostés.

La principale interrogation concernant la plus grande compagnie maritime de Russie porte notamment sur sa capacité à financer son important carnet de commandes de plus de 30 navires, dont la plupart sont des méthaniers au service du projet Arctic LNG 2, et ses effets d’entraînement sur les chantiers sud-coréens, qui ont majoritairement décroché les contrats. L'ensemble du carnet de commandes (y compris celles cofinancées) nécessite un investissement de près de 2 Md$ et engage 3 Md$ dans le cadre de contrats d’affrètement sur la période entre 2022 et 2025. La plupart des nouvelles constructions sont liées aux projets portés par Novatek, Shell et TotalEnergies entre autres.

Sur les 32 navires commandés, 15 méthaniers brise-glace de type Arc-7 sont en cours de construction au chantier national Zvezda dans le cadre d'un partenariat avec le sud-coréen Samsung Heavy Industries (SHI). En imposant des sanctions aux deux plus grandes banques russes - Sberbank et VTB Bank, l'Ofac sape les financements des nouveaux méthaniers.

BP et Shell se désolidarisent de Rosneft et Gazprom

L'administration de Joe Biden a par ailleurs sanctionné PSB Leasing, qui possède cinq navires dont le Baltic Leader que les autorités françaises ont arraisonné le week-end dernier. FESCO, qui exploite les porte-conteneurs Magadan et Moneron a indiqué, dans un communiqué, qu'il se retirait de l'accord de financement de navires avec PSB Leasing.

Parmi les autres entreprises russes soumises aux restrictions américaines en matière de prises de participation et d’accès à la dette figurent le géant russe du gaz naturel Gazprom, le groupe pétroliee Gazprom Neft et la société de pipelines Transneft.

Après BP, qui a annoncé le 27 février la cession de sa participation de 19,75 % dans le capital du groupe public Rosneft, le deuxième producteur de pétrole en Russie, le conseil d'administration de Shell a fait part le 28 février de son intention de se séparer de ses parts dans plusieurs projets communs avec le groupe russe Gazprom et ses filiales, à l’instar du projet Sakhalin-II (exploration de deux champs mixtes pétroliers et gaziers offshore en mer d'Okhotsk au large de l'île de Sakhaline où avait été ouverte la première unité de production de GNL en Russie), dans lequel l’entreprise détient 27,5 %, ou du gazoduc Nord Stream 2, achevé mais suspendu par le législateur allemand et ce, bien avant le conflit. Il avait financé jusqu'à 10 % des 9,5 Md$ investis dans sa construction.

À la fin de 2021, les parts de Shell dans des entreprises russes valaient 3 Md$ et avaient généré un bénéfice de 700 M$.

 

Arrêt net aux exportations de pétrole russe ?

Malgré le déclenchement des hostilités, l'Occident continue d'acheter chaque jour pour environ 700 M$ d'énergie et de matières premières russes, selon Reuters. La Russie a ainsi maintenu ses exportations de pétrole brut et de produits raffinés, mais les négociants russes et les acheteurs occidentaux confirment des difficultés avec les paiements.

La lettre de crédit, garantie bancaire courante dans le négoce de matières premières, est devenue caduque dans la mesure où aucune banque occidentale ne veut couvrir. Le compte ouvert – vente où les volumes sont expédiés et livrés avant que le paiement ne soit dû – serait désormais la seule option offerte à l’acheteur.

 

Comment va réagir l’OPEP+ ?

Les prix mondiaux du pétrole ont grimpé d'environ 11 % depuis la réunion de l'OPEP+ début février, alors que les principaux producteurs de pétrole devront se prononcer sur le rehaussement des niveaux de production.

L'OPEP+, composée des pays exportateurs de pétrole historiques élargie à d’autres membres dont la Russie, tiendra sa prochaine réunion le 2 mars, dans un contexte d'approvisionnement déjà serré en pétrole brut.

Le scénario le plus probable, selon les analystes, serait le statu quo, l'OPEP+ maintenant son schéma actuel : augmenter sa production de 400 000 barils par jour. Ce mois-ci, les prix du pétrole ont déjà atteint leur niveau le plus élevé depuis 2014. Le brut West Texas Intermediate (WTI) s’est échangé à 95,46 $ le baril le 14 février et le Brent de référence mondiale a dépassé de façon éphémère les 100 $ après l’entrée en force de la Russie en Ukraine par la Russie. À 100 $, les pressions pour ouvrir les vannes seront fortes, émanant notamment des États-Unis.

 

Pourquoi la Chine augmente ses réserves de pétrole ?

La Chine a augmenté ses achats dans ses réserves de pétrole cette année, malgré la flambée des prix du pétrole en dépit des appels de Washington en faveur d'une stratégie coordonnée des stocks mondiaux.

Les États-Unis avaient annoncé une libération de 50 millions de barils de leurs propres stocks en novembre et annoncé que la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud et le Royaume-Uni feraient de même.

Or, la Chine, deuxième consommateur et premier importateur mondial, n'a jamais pris d'engagement officiel et a plutôt acheté davantage pour ses réserves. Pékin aurait intensifié ses achats immédiatement après la rencontre du président chinois Xi Jinping avec le dirigeant russe Vladimir Poutine, invité d’honneur début février aux JO d’hiver de Pékin.

Des négociants locaux ont noté pour leur part une frénésie d'achats inhabituelle de la part d'Unipec, la branche commerciale de Sinopec, au cours des dernières semaines. « Les stocks de pétrole brut en Chine ont augmenté d'environ 30 millions de barils depuis la mi-novembre », estime la société de conseil en analyse de données Kayrros. Les réserves chinoises de brut s’établiraient désormais à 950 millions de barils.

Adeline Descamps

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