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Ce matin-là, j’ai paniqué.

Pas une belle trouille, ni une crainte instinctive. J’ai paniqué.

L’aviation et moi, c’est depuis l’enfance, un atavisme, un sort. Premier contact, dans le bûcher de mon arrière-grand-mère, dans la pénombre. Une odeur de poussière, de vieille graisse. Des odeurs d’animaux.

En levant la tête, l’avion, pardon, l’Avion, ce qu’il en restait, sur des poutres. L’Avion des vieilles photos de juste après la Grande Guerre. L’aile d’un côté, sur son chant, contre le mur. De l’autre, le fuselage, presque entier. Squelette de bois, lambeaux de toile. Odeurs, encore, qui reviennent.

Souvenirs des premières fois, premier vol en Piper J3 à Oloron, l'odeur de l'herbe fraiche ; premier posé à Ghisonaccia, l'odeur de l'amitié, qui que tu sois, si tu es là, tu fais partie de la famille ; premiers vols de personnes chères, nouvelles odeurs de petite enfance.

Toujours plus loin, un bon principe. De toute façon, pour savoir, il faut aller voir. Alors je suis allé voir. Plus loin. La voltige.

Et c’est parti. Premier tonneau, première boucle, premier vol dos. On enchaine les vols, c’est étrangement agréable, le vol dos, hors du temps, hors des normes. Retournement, renversement, les muscles mémorisent.

Encore un vol, la rigueur vient. Pour finir, un renversement.

Pied à gauche. Mauvais réflexe. Manche à gauche. C’est pire. Ça tourne.

Ça tourne, tourne, tourne, tourne, tourne, tourne, tourne.

« Lâche tout », la voix de l’instructeur, dans le casque. L’avion reprend son vol.

Retour au sol, débriefing, tu as compris ? non. Pas réalisé, compris, pas saisi.

C’est reparti pour un tour. Bonne humeur, boule au ventre. Parachutes, boule au ventre. Vérifications, la boule grossit. Tonneau de sécurité, la boule est moi.

Ce n’est plus le geste technique que je dois vaincre, maintenant. C’est moi. On rentre, dit l’instructeur. Non, on continue. On enchaîne les tonneaux. Ils passent. La boule grossit. Une boucle ? La boule grossit. Un renversement. Je veux savoir.

Je ne suis plus que la boule.

C’est pas de la peur, la peur c’est sain, ça protège. Un nœud de panique. Muscles noués, cerveau gélifié.

Commandes à droite, ressource.

Respiration, commandes à gauche.

Ce matin-là, j’ai paniqué.

Guillaume

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vit à Paris

Ses articles :

Les petits Molières

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