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Vannina d'Ornano,

Journée internationale des droits des femmes 2017

« La violence faite aux femmes »

Bienvenue à vous tous,

Tout d’abord, je tiens à remercier

M. Laurent Marcangeli, le Maire de la ville d’Ajaccio,

représenté ce soir par Mme Simone Guerrini, Adjointe, délégation

« Culture et patrimoine, Programmation culturelle,

Palais Fesch-Musée des beaux arts », et par Mme Caroline Corticchiato, Adjointe, délégation « Développement social, CCAS », qui m’ont permis de célébrer la journée internationale de la femme dans ce bel endroit qu’est la Bibliothèque municipale Fesch.

 

Je vous remercie également d’être venus aussi nombreux.

 

Merci à Thérèse Amati, au Docteur Jean-Pierre Rumen et à Pierre-Paul Battesti de m’accompagner pour animer cette conférence.

 

En 1977, les Nations Unies ont officialisé la Journée internationale dédiée à la femme.

Souvent critiqué par son côté éphémère, le 8 mars reste, malgré tout, un rendez-vous annuel au cours duquel le monde féminin s’interroge sur les combats égalitaires, les avancées, les victoires, les déceptions qui le concerne et les principales touchées, les femmes, de manifester et de s’insurger.

 

La question de la condition féminine continue toujours de se poser et de faire couler de l’encre quant à son histoire, sa remise en cause, sa vulnérabilité.

 

Pour illustrer cette journée, j’ai choisi de vous raconter l’histoire de l’une de nos concitoyennes, une jeune femme corse du XVIème siècle, qui a inspiré une œuvre majeure de Shakespeare, « Othello ». Il s’agit de Vannina d’Ornano, victime et héroïne malgré elle. L’histoire de Vannina, je ne la connaissais pas et de Sampiero Corso, je n’entendais que des éloges. Surnommé « le roi des Corses », Sampiero était un mercenaire, un condottiere, un héros qui devint un mythe par sa popularité, son audace militaire et politique. Aujourd’hui, Sampiero Corso fait partie des plus célèbres personnages historiques corses, avec Napoléon Bonaparte et Pascal Paoli.

Afin de mieux connaître Vanina et Sampiero, je me suis appuyée sur l’ouvrage éclairé de deux historiens spécialistes de la Corse, Antoine-Marie Graziani et Michel Vergé Franceschi. J’ai également parcouru différents articles de journaux, notamment un écrit élaboré par Mme Véronique Emmanuelli, sur l’histoire de Vannina, ainsi que la bande dessinée de Frédérick Bertocchini et Eric Rückstühl sur Sampiero Corso.

 Mais afin de ne pas perdre le fil de la Journée dédiée aux femmes et en respectant le thème choisi pour cette conférence, à savoir la violence faite aux femmes, je me suis surtout intéressée à Vannina, l’épouse de Sampiero et à son destin tragique qui en a fait une héroïne à son corps défendant. Maintenant que je connais son histoire, vous comprendrez que je ne vais pas faire l’éloge de Sampiero Corso.

En 1545, dans le hameau de "Santa Maria Siché " Vannina d'Ornano, fille de famille noble de l'île, épousait le roturier Sampiero Corso de Bastélica ,célèbre Colonel général des Gardes Corses. Elle avait quinze ans, il en avait trente deux de plus. Pour respecter la tradition, Vannina reçut sur le seuil de la maison de son époux la quenouille ornée d'un ruban rose et le fuseau orné d'un ruban vert, elle reçut aussi l'extrémité d'un ruban blanc tenu par une vieille femme amie de la famille de Sampiero Corso, car ce dernier n'avait plus de proche parente. Vannina traversa la maison et attacha le ruban blanc au sommet du berceau où Sampiero dormait enfant. Par les rubans s'effectua l'alliance des familles, avec eux la quenouille et le fuseau symboles du rôle de l'épouse au sein de sa nouvelle maison, ainsi que le berceau familial qui berça son mari et bercera ses enfants. Ce rituel était encore en vigueur au XIX° siècle sur l'île.

Depuis le XII° Siècle le mariage chrétien s'est mis en place comme institution et comme rite. Les filles dans les familles nobles sont éduquées à se préparer à la vie conjugale, on leur apprend la modestie et l'humilité, on les met en garde contre les dangers de la danse et l'assiduité des galants. Les filles dans les milieux nobles sont données en mariage à 12-15 ans. Les obligations de l'épouse sont très strictement définies: procréer, respecter, honorer et servir son seigneur et maître, l'aimer avec soumission et tempérance, honorer ses beaux-parents et les soutenir dans leur vieillesse, contribuer à la concorde sociale entre les groupes familiaux. Les mentalités de l'époque encadrées par l'Église font que dans un couple, on ne doit pas copuler pour le plaisir mais pour accomplir son devoir conjugal et pour préserver son conjoint des tentations luxurieuses.

Issue dune famille de la noblesse Corse, Vannina est l’unique héritière de Francesco D’ornano et de la Contesse Franchetta D’Istria.

Au XVI siècle, la Corse est une île tourmentée par des massacres perpétrés entre familles seigneuriales rivales, des guerres intestines entre différents clans, des convoitises récurrentes entre des Etats souverains en France, en Italie, en Espagne et en Europe.

Dans ce paysage mortifère où la colère gronde sans cesse, Vannina évolue avec la grâce d’une jeune fille naïve et délicate entourée d’un père au sens aigu de la propriété qui a « caser » sa fille dès sa naissance au plus illustre des combattants dans le but de protéger ses terres et d’une mère la Contesse Franchetta d’Istria, une maîtresse femme, exaltée, à l’orgueil démesuré. Elle a le même âge que son gendre, elle est aussi passionnée que lui par le pouvoir et le prestige.

Vannina, fille unique, est élevée dans un milieu où les principes ont force de loi, c’est une jeune fille aliénée par une société archaïque et par une éducation qui la voue à rentrer dans le moule de la femme mariée, de la mère.

Le mariage de Vannina avec Sampiero n’est pas providentiel.

Vannina a été promise à Sampiero au berceau.

Il s’agit là d’une pratique plutôt réservée aux alliances princières pour faire la paix entre deux puissances ou agrandir des territoires. Mais en Corse où les clans font la paix entre eux par acte passé devant le notaire, il est d’usage de promettre en mariage les toutes petites héritières telle Vannina et même sa mère Franchetta d’Istria qui a été promise à Francesco d’Ornano dès sa naissance pour sceller la paix entre leurs deux familles qui « s’étripaient » depuis de longues années.

La trajectoire conjugale de Vannina est tracée. Elle s’impose à la jeune fille. Elle épousera un homme de son rang et elle aura beaucoup d’enfants.

Obéir aux règles est l’une des constructions sociétales du XVI siècle.

Même si le caractère de Vannina contraste avec la rudesse et l’âpreté de la plupart des jeunes filles de son village, elle maîtrise à la perfection les codes de la bienséance. Vannina accepte son destin sous l’emprise de ses parents et de Sampiero.

Vannina est assujettie à une série de préceptes qui font d’elle un être soumis.

Vanina quitte la Corse où elle est née, où elle a grandi pour suivre son époux à Marseille.

Sampiero est gouverneur de la ville d’Aix en Provence, il est également ambassadeur en Turquie.

Le couple a quatre enfants.

Mais Sampiero n’est pas homme à s’attarder auprès de sa belle.

Les romances ne sont pas pour les guerriers.

Il repartira pour le compte du roi de France combattre dans les quatre coins d’Europe.

Vannina l’attend en remplissant son rôle de mère à Marseille.

Mais la jeune femme s’ennuie. Vivre sans son époux est une épreuve.

La modernité attire Vannina, l’émancipation . Elle est jeune. Elle veut fuir ce moyen âge, fuir le passé. Elle ne veut surtout plus retourner en Corse dont elle connait bien la réalité insulaire où la quête du pouvoir ne peut que se réaliser dans le sang. Elle sait combien de drames familiaux ont vécu  ses pères pour la possession de quelques lopins de terre ou de petits châteaux qui ne sont le plus souvent que des tours.

Sampiero et Vannina sont à la  croisée de deux chemins :

Vannina est attirée par un autre monde, elle aspire à autre chose. Son imaginaire se tourne vers Gênes.

Sampiero est l’homme du moyen âge, il est fasciné par les légendes de son enfance .

Il  aspire à rentrer en Corse avec sa famille et devenir un acteur incontournable du destin de l’île.

Sampiero laisse sa femme à Marseille en lui donnant procuration pour gérer tous ses biens.

Cette réalité n’a pas échappé  à quelques observateurs mal intentionnés et pire à la solde de Gênes.

La République de Gênes ennemie jurée de Sampiero tire partie de son absence.

Elle gagne à sa cause l’abbé Michele Ombrone précepteur des enfants du couple qui persuade Vannina de venir à Gênes afin d’obtenir la restitution des biens des Ornano confisqués par la République contre sa soumission au Sénat.

Les raisons pour lesquelles Vannina accepte de quitter Marseille pour se rendre à Gênes à l’insu de son mari sont obscures.

Il y a plusieurs versions des faits avec des argumentaires à géométrie variable.

Quoi qu’il en soit, Vannina décidera d’aller jusqu’au bout de son projet accompagnée d’un de ses enfants, du précepteur et de quelques serviteurs.

Le voyage se fera en bateau.

Sampiero est, au moment des faits, à Alger. Il est aussitôt avisé du départ de son épouse par son ami et homme d’arme Antoine de ST Florent.

Vanina est interceptée dans la baie d’Antibes .

Elle est conduite ensuite à Marseille sur ordre de son mari, surveillée de près et coupée du monde jusqu’au retour de Sampiero.

La suite nous la connaissons ou pour ceux qui ne la connaissent pas , je vais vous l’apprendre :

Vannina n’obtiendra aucune aide de la France, ni aucun secours de Gênes malgré les lettres qui leur seront adressées implorant leur soutien.

Vannina est livrée  à son époux Sampiero. C’est lui seul en tant que seigneur et maître qui décidera du  sort de Vannina comme lui dicte sa loi.

Il étranglera Vannina.

Consentante, obéissante, c’est le châtiment qu’elle mérite pour haute trahison et déshonneur envers son mari.

L’histoire de Vanina se conclue sous la dictée du châtiment conjugal et du sang :

- « Que je meurs au moins par vos mains ! » dit-elle 

Sampiero ne se le fera pas dire deux fois. Il assume !!!

- « J’y consens, j’obéis puisque vous me l’ordonnez ».

 

Drame historique, lutte entre patriotisme et amour conjugal, affaire d’Etat ?

Vannina en savait-elle trop sur les projets de son époux qui était le bras armé de la Reine Catherine de Médicis ? Celle-ci a-t-elle ordonné l’assassinat de Vannina à Sampiero ?

 

 Cette histoire aurait pu se terminer par une simple séparation de corps mais, au dernier moment, la jalousie est elle venue au secours du patriotisme, de la raison d’Etat  et a fait pencher la balance en leur faveur ?  De là le dénouement tragique.

 Quoi qu’il en soit, Vannina vient rejoindre la malheureuse liste des nombreuses femmes assassinées par leur conjoint, qu’il soit célèbre ou non.

 Ce crime eut un grand retentissement dans les cours européennes. Mais Sampiero échappera à toute forme de procès. On lui trouvera même des circonstances atténuantes.

 

Le 17 Janvier 1567, Sampiero rejoignait Vannina dans la mort, en plein combat non loin de Prunelli, à Suarrella,  trois Ornano, trois parents de Vannina, le frappèrent avec beaucoup d'autres et touchèrent la prime promise par les génois. Avec lui, mourrait une époque, mais un sentiment nouveau était né, ce patriotisme qui allait lentement lever dans le peuple et qui, un siècle et demi plus tard, allait mener à la guerre d'Indépendance.

 

Comme vous pouvez le constater à travers cette histoire, la violence faite aux femmes traverse les siècles.

 La violence faite aux femmes constitue la violation la plus fréquente des droits humains. L’Organisation Mondiale de la Santé qualifie la violence faite aux femmes de problème réel de santé publique.

Une femme sur trois dans le monde sera battue, violée, abusée, harcelée, malmenée, au cours de sa vie, soit un milliard de femmes à travers la planète, indépendamment de leur origine, de leur culture, de leur classe sociale, de leur âge ou de leur religion.

Une sur trois, regardez autour de vous, dans la rue, au bureau, chez vous ? A quel problème plus urgent devons-nous faire face aujourd’hui ?

 Une sur trois est victime de violence et le pire est toujours certain, une femme perd la vie tous les trois jours du fait de son conjoint ou de son ex conjoint.

Derrière ces chiffres tristement stables, au delà des destins similaires à celui de Vannina qui attestent que la violence de l’homme sur la femme parcourt les époques, le résultat est le même. Les similarités dans le processus de destruction, d’emprise, de soumission, d’escalade de la violence : Ils sont légions les Sampiero Corso !!!

 Oui, les violences à l’égard des femmes traversent le temps  et interviennent à toutes les étapes de leur vie avant même la naissance avec, dans certaines régions du monde, la pratique de l’avortement du fœtus de sexe féminin.

 Les petites filles et les jeunes filles sont les plus touchées, les plus vulnérables avec 60 millions de filles mariées de force avant leurs 18 ans (Vannina a été promise à Sampiero dès sa naissance et elle l’a épousé à l’âge de 15 ans)

 140 millions de filles sont victimes d’excision. Une fois devenues adultes, les femmes sont confrontées à la violence au sein de leur famille, de leur quartier, sur le lieu de travail.

La violence à l’égard des femmes ne comprend pas uniquement les coups, les insultes, mais également des droits dénigrés, des opportunités limitées et des voix réduites au silence.

Les premières violences auxquelles les femmes sont confrontées sont les violences verbales, telles que les insultes, les blagues sexistes, les attouchements dans les transports publiques, un phénomène viral qui concerne en majorité les jeunes femmes de 20 à 24 ans. Puis la maltraitance va crescendo, viennent ensuite le harcèlement, puis les agressions physiques ou sexuelles et la mort.

La violence prend des formes multiples.

La Corse n’est pas épargnée. Elle ne compte pas plus de conjoints violents qu’ailleurs et pas moins non plus. Les chiffres placent l’île dans la moyenne nationale qui connaît 210 procédures pénales par an. Des affaires tragiques récentes prouvent que ni les avancées des droits, ni notre soi-disant société matriarcale protégée de tous les maux, ni l’insularité n’ont de prise sur le phénomène.

 Un des principaux défis lié à ces violences sur les femmes, est, qu’elles sont cachées, invisibles pour ses acteurs car profondément ancrées dans les mœurs et donc intériorisées par les individus. (Vanina, pétrie de culpabilité, noyée dans des préjugés archaïques, a demandé la mort à son époux dont elle pensait avoir entaché l’honneur).

Omerta, honte, peur des représailles, lavage de cerveau, certaines femmes pensent même qu’elles le méritent, qu’elles l’ont bien cherché.

 Dans leur grande majorité, les femmes n’osent pas parler, elles ont de fortes réticences à se tourner vers la justice, à peine 10% des femmes qui se déclarent victimes de violence ont porté plainte.

Qui sont ces femmes ? Comment en sont-elles arrivées là ? De cette pandémie de violence à leur encontre, facilitée par un contexte de discrimination, on connaît souvent mal les conséquences à moyen et à long terme sur la vie d’après. En quoi consiste l’onde de choc des violences subies ? Comment reconstruisent-elles ce qui a été détruit ? Quelles sont les répercussions sur la vie intime, familiale et sociale de ces femmes ? Comment évaluent-elles après des années de souffrance physique et ou psychologique ? Quels sont leurs droits ?

Autant de questions que Mme Amati et le Dr Rumen au cours de leurs carrières professionnelles ont posées, autant de réponses entendues, de silences lourds de meurtrissures. Leur intervention sera appuyée par le témoignage d’une femme, présente parmi nous ce soir.

Y-a-t-il encore des défis en 2017 pour la cause des femmes ?

 J’appuie mon commentaire par une citation de Simone de Beauvoir :

 « Mesdames, n’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ils ne sont jamais acquis. Nous devons rester vigilantes des siècles durant ».

C’est une citation d’actualité

Le premier défi selon moi, les lois bien sûr votées, concernant les femmes : elles ne sont pas toujours appliquées. Dans l’air du temps, nous sentons poindre une remise en question de la loi sur l’IVG en France, en Pologne, en Hongrie, en Norvège, aux Etats-Unis, un peu partout dans le monde. On observe le même phénomène qui atteint des hommes politiques, des membres d’associations, des gens qui crient dans la rue avec le même genre d’argumentaire prônant des valeurs identitaires, culturelles, familiales, remettant en cause les droits de femmes, notamment la loi Veil sur l’IVG dont on a fêté les 40 ans le 17 janvier 2015. Oui cette loi mérite qu’on la fête, une avancée pour les femmes absolument formidable dont il est impensable que l’on revienne sur cet acquis.

 La question des droits des femmes, de leur statut, de leur rôle continue de se poser, notamment encore et encore à travers l’inégalité des salaires.

 Leur choix de vie également, toujours autant scruté, jugé : être célibataire n’est toujours pas évident non plus parce que les femmes seules sont encore perçues comme une menace pour les couples.

 Les femmes, aujourd’hui, ont de multiples raisons d’avoir la rage quand on sait que les ¾ des habitantes de la planète sont prisonnières de leur culture et de leur société, parfois même avec leur consentement.

Un autre défi à ne pas ignorer, le danger du regain des intégrismes religieux. L’histoire nous a prouvé que les religions monothéistes ont infériorisé les femmes, les ont renvoyées d’un ghetto social à un apartheid social.

Quoi qu’il en soit, les femmes ont tout intérêt à se sentir solidaires, à s’entraider, à comprendre leurs semblables, à construire autour d’elles ce cercle vertueux qu’elles doivent, en grande partie, à Simone Veil que je ne cesse d’admirer.

J’aimerais lui dire qu’elle est la fierté des femmes, la force, le courage, la conviction, la persistance dans l’action.

 Simone Veil avait ce courage supplémentaire d’être en opposition avec une immense majorité composée d’hommes et d’avoir tenu bon, de nous avoir protégés  et de nous avoir démontré que contre tous ces hommes, c’est bien d’être une femme et une femme libre.

J’ai une pensée également pour toutes celles qui ont contribué et qui contribuent à notre bien être et à notre liberté.

Dominique CORTICCHIATO.

Bibliothèque Patrimoiale d'Ajaccio
T. Amati
D. Corticchiato
J-P. Rumen
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